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Véronique PEDRERO

Fragments du père

Été mûr de soleil
Tu as le dos cuivré
Le torse aussi
C’est la fin des vacances
Pour la photo, la dernière, l’ultime, tu as enfilé ton maillot de bain jaune
De l’or sur ta peau brunie

Toujours un livre entre les mains
Toujours
Des pages qui se tournent
Toujours
Des pages à ne pas corner
Les livres, tu dis, c’est précieux
Ceux-là appartiennent à la bibliothèque
Ils seront empruntés par d’autres

Tu prenais le temps de partir
À tour de roue
Tout seul à grimper sur les rebords du paysage
Si un autre cycliste était devant toi, tu accélérais
Pour ne pas être derrière
Pour passer devant
Pour ouvrir la route et en avoir l’usage
Avec l’illusion d’être seul

La cuisine, celle du bas, c’était ton antre
S’amoncelait dans l’évier la vaisselle
Le four débordait de senteurs
Sur la cuisinière, ça mijotait salé sucré
La radio marchait toute seule
Tes mains saisissaient le fouet
la poêle
la salière
Quand la mousse remplissait le saladier
Tu passais tes doigts sur les parois de la casserole
Tu avais tous les droits
Après, ne restait que le souvenir du chocolat fondu
Le reste tapissait ton estomac

Devant la TV, le match Lyon-St É
Radio vissée à l’oreille
Le son du commentateur sortait de l’écran
L’œil sur le ballon les maillots
Juron
Mi-temps
Le match emplissait la pièce
Il n’y en avait que pour les maillots verts

J’ai quatre, cinq ans peut-être
J’ai mal aux dents
Ma tête sur ta poitrine pour éviter les courants d’air
Tes bras pour me protéger
Une couverture à revers
Mon souffle calé au creux de ton cou

Les cloches sonnent à l’église
C’est l’heure d’entrer en mariage
À ton bras droit, ta fille, sa robe blanche, ton désespoir
Ton nœud de cravate est impeccable, sa voilette engrillagée
Sous le porche, vos pas ajustés passent
Ton dos se voûte
Ombres sur les dalles de pierres