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Véronique PEDRERO

Fragments de trains

Cingler
Le ciel qui vire au noir
Le vent sans concession
Et le train qui fend l'air
Comme une flèche lancée
Au front de l'horizon
Dans son oeil cyclope

Se pencher sur la page
Sage, après l'attente
Sage, après le changement d'entrailles
Et en noircir le blanc
Au dos du temps

Et je me penche tête vers la fenêtre placide
Elle s'en fiche, elle
D'ailleurs, elle ne me regarde pas
Alors nous sommes quitte

Pendant ce temps
Les mots font leurs sauts de puces
Ils ne s'arrêtent jamais
Ce n'est pas comme le train
Qui vient d'entrer en gare
De laisser sur le quai
Les valises qui passent

Le scintillement des heures au plein de la nuit
Attisé par
Le souffle des chevaux
Et
L'aiguillon es instants
Ne faillit pas



Sous la pelote embroussaillée
La pelote de nuages étouffés
Les rails se dénudent

Alentour, des étoupes de chagrins retenus dans leur nasse
Auprès, des flaques d'eau attendent des bottes
Ici, le lilas claque son mauve
Bruyante couleur
Là, le soleil électrique derrière certains volets, des lumières aux balcons
Tout près, des murs tagués

Les rails tanguent
Les routes arborent leurs tranchées
Et l'école attend, encore sage, le ventre vide des cris d'enfants
Le tunnel avale le train

Tandis que le train passe, les montagnes demeurent, nimbées de brumes
Si l'oeil se contentait de capter le trait, on pourrait les ignorer, les oublier
Fugaces, elles pourraient s'effriter une fois l'instant passé
Pour éviter cela, il faut redresser notre courbure de tête
Déployer plutôt que ployer

Des chapeaux, des foulards, des capuches assises sur un banc
Devant la gare
Dans le train, des écrans et des pages
Par la vitre, un posé de brumes, feulé, un gommage de peaux
Dans le train, une femme remue les mots avec ses mains
Dans la pause du voyage, elle coupe le silence masqué, bouscule les immobilités
Trace un fil tranché devant les paupières baissées
Et les mots continuent leur course effrénée
Elle parle puis elle descend sur le quai de la gare

Babil d'enfant qui tape un rythme sans suite
Il se fixe dans mon regard

Le brun des labours
Le vent renaissance
Des dos châtaignes et blancs broutent les promesses du printemps
Le temps des regrets se couvre de feuillages
On ne peut éteindre le jaune des champs

Le jour s'amollit
L'oeil capte une présence
Du vivant au bois dormant

Les pages des livres se tournent
Et les têtes à peine
Chacun à son affaire

Je sens de la pluie dans mon coeur
Un mélange de chagrin, un retour du bonheur
Les gens sont si tranquilles
C'est étrange, ce silence

Me poser au café entre deux trains, sous la verrière protectrice de la gare.
La gare de Rennes offre une vue imprenable sur le cheval famélique, les gens qui passent, ceux qui se posent sur les transats.
Les oiseaux chantent.
C'est un dedans sur le dehors, un lieu de transit où la lumière se pose sur chapeaux ou capes de pluie, habits légers et petit café en terrasse intérieure.

Comme c'est drôle de savoir que j'avance vers ma destination en étant orientée à l'envers !
J'ai l'impression de reculer, de m'éloigner.
Mes perceptions s'inversent.

Respiration du dormeur au fil des vaux
Le vaisseau des rails penche
Des mains s'activent
Ongles vernissés sur tablette
Les arrêts se font sur coussin d'air

Les rails défilent
La forêt amputée révèle ses entrailles
Un homme à la gueule cassée sort de quel enfer, peau enflée de cicatrices ?

Je compte
Un visage
Des visages
Le malaise prend les traits de cette multitude

Les toits bourgeonnent de cheminées
Coiffés
Dardés

Des épaules flanchent côté fenêtre
Flotte une odeur de café
Des regards s'échangent, brefs

Posés en ordre dispersé
Les belles, les oiseaux, les arbres édentés

Des mains tournent les mots des pages
Certaines s'appliquent à marquer la tranche

Arrêt en gare
Un moineau grappille des miettes de ceux qui se sustentent
Prévoient-ils de nourrir les piafs, intentionnellement ?
Un sandwich perché sur un plot
Des valises distendues
Des poubelles aux ventres gonflés
Un vol se pose sur une tige d'acier

Le train repart
Enfin, un autre train
Temps révolu où les passagers échangeaient quelques mots ou envahissaient l'espace par discussions disparates ou dénuées d'intérêt
Même les poubelles s'absentent
Les papiers s'entassent sur les tablettes
Jusqu'au passage des "Monsieur Propre"
On vient à soi, on se replie
Dans la coque à grande vitesse
On joue seul
On gamberge seul
Le voyage prend une consistance opaque

Parfois, la vibration d'un croisement de lignes
Le réseau tricote ses mailles

Le moment est arrivé où l'on se déplace dans l'obscur
Les quais sont quasi au secret
Plus d'escaliers qui fourmillent
La lumière flash gomme les présences

Et l'on traverse des bourgades
Et l'on décèle des lueurs
Celles des réverbères qui sitôt s'éclipsent
Les regards divaguent
S'opère un rétrécissement, une entrée collective dans des coques


Sur le quai, un homme grommelle
Des mots achoppent
Bosnie, Ukraine et d'autres que je ne retiens pas
Regard en coupe de lame
Froid
Il demande une pièce, un morceau brioché
Son baragouin tient en quelques mots
Mâchés et rabâchés

Un croissant
Un verre de café en carton
Bon, très bon même, le croissant pur beurre
Bon dans le ventre
Ça remplit la faim
Remontée de souvenirs de voyages en train avec grand-père cheminot et grand-mère généreuse
Débordée de saveurs
Peu importait la destination, l'important était le voyage qui emplissait l'espace
Elle mâchait les douceurs avec ses quenottes d'enfant

English, des chiffres twelve sixteen
Bras qui indique en haut
Merci sourire

Murmures sur les sièges avant
Il y a les assis en toute discrétion
Et un siège vide
Personne
Qui attend

Odeur de transpiration
Fin de matinée
Pas de remue-ménage
Capture du nez, les cloisons saturées

On entend monter l'escalier
On entend rouler sur le pavé
Des pieds, des bosses, des cols remontés, des pas pressés
Mots écrits de la même manière mais qui allient des contraires

Je guette le titre du livre de la dame d'à côté, de l'autre côté de l'allée centrale
Pour inventer ce que ça raconte
Introspection des lectures aux tournures de pages
Une couverture blanche
Une tranche banche également
Aucune visibilité sur l'auteur
Le livre a été glissé dans le soufflet de la tablette
Il n'y a pas de bandeau de couleur

Au café de la gare, sous la verrière
Le grognement de la machine à café
Cliquetis des tasses et des soucoupes
La file s'allonge près de midi
Des dents mordent dans un croissant
... euros... quarante
Des mots en brides décousues

Retour au voyage
Le chat réveillé dans le sac à grillage
Miaulements timides
Ombre douce

Il y a des toits et des silos à grains
Du ciment, des parkings, des voitures par rangées
Des pylônes aux câbles tendus, gris de fer

Aux quatre points cardinaux
Monotonie du paysage
Interruption momentanée par des carrés et tranches d'arbres bien rangés
Aux bords
Le jaune survient de champs d'huile à venir
Et les vallonnements ténus
Et les croupes laitières
Des haies comme des coursives