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Sylvain BERNON

Le poète, et toi.

Qu'advient-il du poète lorsque sa feuille ment?
Quand malgré son amour, son amour fait semblant ;
Le temps de se pencher par crainte d'avancer,
Qu'il décide de vouloir au lieu d'abandonner?

Qu'il s'en veuille de masquer sa personne insolente!
Dans le flou du malsain, son orgueil s'impatiente,
Et raconte des caresses à qui veut bien l'aimer
Pour tout ce qu'il n'est pas, ou trop pour ce qu'il est.

Se flagelle-t-il pourquoi? Pour toi, surtout pour eux?
Tu allumes sa lumière et te planques derrière ceux
Qui l'obligent à cacher sa nature profonde ;
Le poète est-il fait pour vivre dans ce monde?

Il comprend car il est à la fois ta présence,
Et celui que tu caches derrière chaque convenance ;
Il t'en veut quand tu laisses sa plume sur les trottoirs
Salis par tous ces pas qui salissent sa mémoire.

Il n'y a plus le temps de se mettre à genou
Devant le grand miroir sans pleurer de dégoût ;
L'abattoir se balance: survivra-t-il, peut-être,
A sa belle écriture, majordome des lettres?

Aie donc pitié de lui quand il cherche ses mots,
Quand il force son art, qu'en penserait Rimbaud?
C'est qu'il souhaite lui aussi parfois se protéger
De ce que l'existence lui ordonne de créer.

Mais voilà que ses doigts, ô fidèles serviteurs,
S'invitent sur le papier d'une peau en sueur,
Jusqu'à perdre le contrôle de ton propre sourire
Où s'impose l'unique choix: faut-il fuir ou s'enfuir?

C'est alors que ta bouche voudrait le remercier,
Mais les mots s'en empêchent comme s'ils étaient figés
Par la peur d’abîmer cette minute de cristal,
Qui vient d'unir sans gêne le bien avec le mal.

Peu importe finalement si il n'est pas compris ;
A qui est-ce réellement d'expliquer ce qu'il dit?
A lui (il s'y refuse) ? A toi ? Surtout à eux?
Les lecteurs n'ont-ils pas le poème sous les yeux?

Et ce don qui traverse chaque morceau d'être humain...
Il l'entend et le touche sans montrer le chemin
Car parfois c'est ainsi avec la poésie:
Lui-même ne comprend pas toujours ce qu'il écrit.

Heureusement tu es là pour le faire chanter,
Quel dommage que sa bouche ne t'embrasse pas assez!
Ou trop, quand il explore le profond de ses plaies
A la recherche des vers qui le font déborder.

Au diable ce visage peinturluré de noir
Qui prétend n'être libre que dans le désespoir !
Si seulement tu pouvais ne l'aimer qu'à moitié,
Peut-être écrirait-il sans te faire saigner.

Mais la blessure exige d'être toujours remplie,
Car c'est quand ça fait mal qu'il se colle à la vie
Pour pouvoir revenir entre tes rimes pluvieuses,
Le cœur entre les jambes et l'envie amoureuse.

Certains disent qu'il est temps de voir enfin guérir
Son besoin maladif de vouloir se détruire,
D'autres évitent le sujet et préfèrent avaler
Les maux doux, l'émotion que lui souhaite recracher.

Et que dire du poète que tu n'as pas croisé?
T'attend-t-il impatient ou a-t-il renoncé?
Comme si tu existais, comme s'il avait besoin
De quelqu'un pour écrire et lui prendre la main.

Car au fond qui es-tu mystérieuse clandestine?
Toi qui hantes ce poème depuis son origine ;
Une miette d'étoile, un morceau de lui-même
Qui attend à son tour qu'on lui dise « je t'aime »?

Mais si comme dit l'autre l'amour ne suffit pas,
Que reste-t-il à l'autre pour croire en ce qu'il croit?
Du génie en bouteille, de la beauté sans cible?
Serait-ce une fin soi que d'être une âme sensible?

On dit qu'il est perché pour ne pas dire bizarre...
(on dit parfois des choses qu'on regrette plus tard)
Lorsque tous les amis se sont évaporés,
On le trouve soudain un peu moins décalé.

Aussi arrive-t-il juste au coin de ta rue,
Déversoir à problèmes qui seront résolus
Par une arme sans doute bien trop sous-estimée:
Son talent comme purge de la réalité.

- Et bannir à jamais de ton vocabulaire
le mot 'Obéissance' devenu trop vulgaire.
- T'en aller loin du monde de la compréhension
pour enfin atterrir dans ta propre maison.

Voilà de quoi chasser les mâchoires sans humour
Qui vont jusqu'à voter parfois au deuxième tour ;
Peut-on rire en l'honneur de cette fatalité ?
Il ne reste plus rien lorsque l'on s'est trouvé.

Plus personne pour semer les graines du savoir
Qui commentent le fait qu'on se soit couché tard ;
Plus de dés à lancer à la gueule du vaincu,
Car on ne peut plus perdre quand on a tout perdu.

Et pourtant il est là, debout et sans regret,
L'arrogance aussi fraîche qu'une gourde assoiffée ;
Il ne sait sans doute pas que demain le suivra,
Imagine sa surprise lorsqu'il te trouvera !

Allongée sur le sol d'une note qui rassure,
Tu lui diras « Encore, encore quelques ratures ! »,
Et il te répondra sur un ton amusé
Que tu n'as qu'à relire ce poème en entier.