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Sylvain BERNON

La chute

Enfin seul au sommet de sa fuite apaisante,
Un brave homme se ressert de quoi taire ses angoisses,
La musique à la main, il embrasse une pente :
Dix-huit marches pour danser, et voir la mort en face.

Au début tout va bien, une piqûre de rappel :
« Petit être immature, n'as-tu donc aucune honte ? »
« Honte de quoi et de qui ? Chers amis infidèles,
Lassez-moi donc descendre lorsque vos pas remontent ! »

Allongé sur le sol, la joue dans la poussière,
Un sourire pénitence accroché à ses larmes ;
Il a froid d'avoir mal, est-il encore sur terre ?
Peu importe... Ses yeux ont égaré leur charme.

Qu'il est moche, qu'il est sale, ce brave homme écorché,
Dans cette chambre sérieuse, aveuglante de silence.
Trois personnes demandant : « Que s'est-il donc passé ? »
« Cela manque de musique, emmenez-moi aux urgences ! »

Enfin un bruit, un son : la sirène d'un camion,
Deux notes qui se répètent, le signal d'un départ ;
Direction tout en bas, plus profond que le fond,
Son visage rendez-vous avec son pire cauchemar.

« Miroir, mon vieux miroir, où est passée ta peau ?
Je n'ai fait que passer en jetant quelques dés. »
A ce jeu du hasard, dix-huit marches de trop,
Le brave homme se rend compte qu'il aurait pu tomber.

Mais comment remonter en haut de l'escalier,
Retourner au berceau d'un jeudi 12 octobre ?
Y a-t-il, dans ce drame, un seul grain de beauté
Qui offre à sa victoire l'occasion d'être sobre ?

Nouvelle marche franchie, son histoire se console
D'avoir pu atterrir à deux pas de sa chute,
Au milieu d'un souvenir, vaine perte de contrôle...
La mort décidera l'heure le jour, la minute.

Ainsi donc par amour, le voilà orphelin
D'une vie où l'artiste s'empare de ses nuits.
A présent redevable, tributaire du serein,
Il s'éloigne pas à pas de sa sombre poésie.

A-t-on encore le choix quand les rêves s'introduisent
A l'intérieur même du réel, du sincère ?
Bousculant quotidien jusqu'à ce que cicatrise
La parole d'un enfant qui s'inquiète pour son père.

Et cette faille qui l'appelle, émaillée de déni :
« Vivre vite, mourir jeune avec intensité ! »
Et cette voix qui l'apaise lorsqu'il est endormi :
« Tu ne t'es pas éteint au bas de l'escalier. »

C'est donc ferme et présent que son combat commence,
Le genou abîmé, impossible à plier
Devant toute la richesse de sa belle dépendance,
Il a soif, il a peur d'être enfin libéré.

Puis les promesses sonnent comme une conclusion :
Il y a du beau dans ce monde qui mérite d'être là,
Qu'on se batte pour lui, qu'on écrive sa chanson
Au-delà des concepts auxquels il ne croit pas.

Alors il va vieillir, dormir dans le paisible
Comme dorment d'autres hommes, peut-être un peu moins braves.
Se convaincre que l'amour est une chose possible,
Que le bonheur existe, et que ce n'est pas grave.

Il ne manque pas d'audace, il est même encore fou
De l'ivresse sans alcool que son regard supporte.
De sa chaude fenêtre, on y contemple tout :
Cette grande empathie qui assume d'être forte.

A ses pieds une histoire, qui aurait pu finir,
Se ressert une tournée de cette gratitude
Que l'on offre à ceux-là qui refusent de mentir
A la douce comédie que sont les certitudes.

Pile ou face contre terre, se rappelle alors l'homme,
La poussière, la musique, l'état de son visage,
Toujours ces trois personnes : « Savez-vous où nous sommes ? »
Peut-être entre une chute et un atterrissage...