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Steve DELCOURTE

Vieille branche

René rentre.
Il pue le bistrot.
Douze heures sur un tabouret à dépenser ce qui lui restait.
Pas un rond.
Pas un sourire.
Le foie plein, la tête vide.
Il s’arrête au milieu de la pièce.
« Douze ans, Jeanne. Douze ans.
Je te le redemande.
C’est mon droit d’époux. »

Elle ne répond pas.
Elle ne bouge pas.
Silence.
Même le pendule a l’air gêné.

Elle le regarde.
Pas comme une femme regarde un homme.
Comme un chien blessé regarde la main qui va l’abattre.
Les poings serrés.
Le genre de serré qui blanchit les phalanges.

Il crache encore.
« Tu me le dois. »
Ça sent la bière.
Ça sent la défaite.

Elle baisse la robe.
Pas vite.
Pas doucement.
Elle balance le tissu comme si ça ne servait plus à rien.
Le corps dessous.
Tout marqué.
Tout usé.
Un corps qui n’a plus rien à donner.

Il avance.
Souffle lourd.
Le genre de souffle qui fait peur dans le noir.

Elle ravale ses mots.
Tous.
Même les pires.

Sa main touche le sein.
Un bout de pierre froide.
Une poignée de vieillesse.

Il veut plus.
Il avance l’autre main.
Elle le bloque.

« Que tu salisses,
que tu déchires,
que tu exultes…
tu es seul, mon pauvre René. »

Ils restent là.
Deux statues dégueulasses dans une pièce trop petite.
À bout de souffle.
À bout de tout.

Et puis plus rien.
Rien sauf le tic-tac du pendule et l’odeur de bière tiède.