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Steve DELCOURTE

penser, vraiment

il y a dans mon cœur
comme un gouffre
et un trop-plein,
un silence qui colle aux parois,
un truc lourd
et presque liquide.

ça fait du bruit, le silence,
quand t’es seul assez longtemps
pour l’entendre.

et quand je pense ;
je veux dire,
vraiment penser,
pas juste faire défiler des conneries dans ma tête ;
eh bien je me fissure.

comment tu veux t’exposer au monde
quand t’as vu ce qu’il cache ?
comment dire je
quand je n’est qu’un souffle perdu
dans un ciel vaste,
tendu comme une peau
au-dessus d’un lac
où l’air lui-même hésite à bouger ?

et puis merde,
comment on fait semblant
quand la télé crache des hommes qui s’égorgent
pendant qu’on mâche des lasagnes ?
c’est pas qu’on s’en fout,
c’est juste qu’on a plus le choix.

le cœur regarde,
le ventre digère,
le cerveau zappe.

et franchement,
qui peut encore bander pour un trou,
quand on y pense ?
j’veux dire,
quand on regarde l’abîme
au fond de tout ça...
l’attente,
la recherche d’un lien
qui tiendrait plus que trois minutes
ou une nuit.

y’a plus grand-chose qui tient.

alors je demande,
sans prétention,
sans grande théorie :

pourquoi on nous a foutu la pensée
si c’est en animal qu’on vit ?
si c’est pour courir après des ombres,
ou des corps,
ou des likes,
avec ce cœur qui cherche une sortie
dans un labyrinthe sans plan ?

j’suis pas triste, hein.
juste lucide.
c’est pire.

et peut-être qu’au fond,
penser,
c’est pas un don,
c’est une punition
qu’on enjolive
avec des poèmes
comme celui-ci.