La SNCB m’écrit sa correspondance : 22h22 j’arrive, 22h18 je pars. Mathématiques d’ivrogne, mais on fait semblant d’y croire.
Je monte dans le train. Deux types avec Palestine gravé sur le visage, parlent comme on tousse, mots cassés, sale anglais, phrases amputées. Ils ont perdu des frères, des sœurs, des oncles. Ils n’ont plus que leurs os et un gîte qui ferme à l’heure.
On cause un peu, on se tait beaucoup. C’est doux, comme si le silence pouvait recoudre leurs trous.
On court ensemble. Le train est là. Il a attendu. Mais les portes, elles, restent fermées. On cogne, on gueule, personne n’ouvre.
Alors eux, les deux sacs d’os, se faufilent par la petite fenêtre. Comme des chats. Comme des ombres qui refusent de crever ce soir. Je suis heureux pour eux. Une femme dit : « Si j’étais un mec, j’aurais fait pareil. »
Et là surgissent deux types, baraqués, uniformes sans uniforme, badges pendus comme des médailles. Ils crachent : « Tes papiers, connard ! » à deux fantômes qui comprennent rien.
Moi je reste. Haine dans le bide, impuissance dans les mains. Et ce goût amer d’un monde qui choisit la règle plutôt que la vie.
Brisez les règles. Ouvrez les vitres. Ne vous habituez pas. Ne devenez pas les gardiens du silence quand deux hommes veulent juste rentrer dormir.