Rendez-vous à Padoue
Depuis bientôt dix jours, j’allais sur les chemins
Dans les maquis bruissants et la gigue des pins,
Les guérets d’herbe sèche et les champs de lavande
Harcelés de grands vents dont je faisais provende
Avec pour objectif de partir à l’assaut
Du géant de Provence en démarrant de Sault.
Au bord de ce balcon, et du pont de la Nesque,
Je me trouvai au pied du massif gigantesque
– Minuscule David contre un Goliath de roc
Et drapé de forêts – bien décidé au choc
Avec mes arguments de temps et de patience
Et, par mon raid piéton, formé à l’endurance.
Pas à pas, l’air de rien, prenant de la hauteur
En laissant mon esprit vaguer sans directeur,
J’avançais, dopé par une légère ivresse,
Petite bête qui monte, monte en souplesse,
Egrenant sur les troncs, les marques du sentier,
Dépassant par ici un chemin forestier
Et ignorant par là des silos militaires
Pleins de leurs provisions de charges nucléaires.
Mais il fallut bientôt marcher à découvert
Sur l’échine du monstre et son dôme désert,
Glacé par le spectacle et appliqué à suivre
Des piquets affublés d’un aileron de givre,
Visiteur temporel d’un monde minéral
Sur lequel règne seul le féroce Mistral.
Profitant du sommeil passager du monarque,
Je me hâtais plus haut sans penser à Pétrarque
Qui m’avait précédé au sommet de ce mont
Et en avait tiré une honnête leçon :
Car tout en s’élevant au-dessus de la plaine
Pour venir tutoyer un aérien domaine,
Le poète italien conçut dans son effort
Le désir de hisser l’esprit en plus du corps,
De ne plus se complaire à la paresse infâme,
A la facilité qui empoisonne l’âme,
Travailler à gagner les champs de la vertu
Plutôt que de stagner dans la fange, abattu,
Accepter de souffrir dans un labeur notoire
Pour pouvoir emporter, sur soi, une victoire.
Mais moi, je n’étais pas dans cet état d’esprit,
Seulement fier d’avoir réussi mon pari,
Quand, depuis le sommet, mon œil panoramique
Observa l’horizon pour un plaisir physique ;
Et si je vis vers l’est des cimes enneigées,
Ce ne fut certes pas afin de m’immerger
Dans la nostalgie de l’Italie transalpine
Comme dû l’éprouver le toscan d’origine.
Je n’ai pas évoqué Pétrarque au mont Ventoux,
Ce serait pour plus tard, rendez-vous à Padoue.
