Sous un ciel moucheté par la nue endormie L’océan présentait les signes d’accalmie, Se trémoussaient ses flots dans un amusement. Un trois-mâts naviguait, sa proue était sans crainte, Sa poupe, d’un ruban, dessinait son empreinte Pour marquer sur le flux son long cheminement.
Sur le pont des marins, le ventre au bastingage, Contemplaient dans le soir la ligne de partage Qui dansait au roulis entre le ciel et l’eau. Le généreux Eurus gonflait toutes les voiles Et parurent aux cieux les premières étoiles, Immobiles lampions accrochés au daleau.
Soudain, un éclair blanc déchira la pénombre, Les vents dans un galop fondirent en surnombre Sur l’esquif isolé dans les remous d’argent. Le gréement et les mâts geignirent au supplice Sous les coups de boutoir de la vague complice D’une foudre agressive au tonnerre rageant.
Le navire pourtant se comportait en brave ; En danse de Saint-Guy dérapait son étrave Qui plongeait dans la houle en noyant ses vibors, Sa mâture céda sous l’assaut des bourrasques En couvrant ses gaillards par des écoutes flasques Et jaillit le ressac vomi par ses sabords.
La furie océane accrut ses offensives, Déferlement du flot sur le pont, les coursives, Coups d’épaule des vents voulant le cabaner. Le bâtiment blessé ne put que rendre l’âme Quand frappa sur son flanc la meurtrière lame Dont l’écume s’en vint d’un coup l’enrubanner.
Ô marins disparus dans les mers coléreuses En laissant dans les ports des femmes malheureuses, Le cri de l’albatros et la galerne seuls Seront depuis l’azur vos cortèges funèbres Vous regardant partir pour le fond des ténèbres Enveloppés des eaux vous servant de linceuls.