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Patricia Ganaj

Le ballet des mésanges bleues au pays de Shine

La nuit, des bouts brisés de ma conscience flottent
En morceaux, je plane, je déambule et je ne m’appartiens
plus
Je crois me poser sur un nuage phosphorescent
tel un avion en papier trop puissant
Persuadée de ma crédibilité absolue
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

Je vole par-dessus les battants de ma fenêtre en wingsuit
Effritée en morceaux irréguliers de flanelles écarlates
dans la nuit
La moitié de mon corps est désormais réfugiée
sur d’invisibles sommets
Expatriés, d’autres aussi s’y sont perdus à jamais
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

Sonnent deux heures
Mon urne propulse la peau en velours
de mon âme bestiale
Je désenchevêtre l’autre qui se révèle enfin de mes restes
Je ne contrôle plus le nouveau poisson qui sort
de mon bocal
Il danse une litanie glaciale
Qui me fait perdre les eaux
Qui me fait perdre pied dans ces eaux céruléennes
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

L’autre danse et se désaltère
Je suis assoiffée hors de ce cockpit où j’étais locataire
Je tombe sur le bûcher où trônent mes jurés intérieurs
Nez à nez face à des gaz onduleux
Les diables paraissent plus beaux en bleu
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine
La nuit noire sort ses griffes et étripe mes tapis
L’autre a l’audace de dérober tous les fils d’une broderie
Que, sagement, j’avais confectionnée
J’ouvre mes seins chauds avec pardon pour calmer
son ardeur honteuse de harpie
Mais malheureuse que je suis, j’ai glissé sur des cendres
charbonneuses
Entraînée sur un terrain calciné
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

Mes prunelles sont trempées dans la tourmaline noire
Mon coeur déchaîné chahute dans la foire
L’auto-tamponneuse chavire et choque mes poumons
dans la collision
Je me prends trop au jeu de mes visions
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

L’autre se moque du carambolage
Il imagine la même danse sans chuter lui-même
Des rires fiévreux nourrissent une rage
que rien ne soulage
De ma risible défense ne naissent que des larmes chaudes
safranées de honte
Et deux belles lames couleur bisque me tranchent
les joues
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

Incapable, je coule dans un béton velouté d’argile
qui rend ma peau assoiffée
D’une mare de café noir, mon oesophage est étouffé
Mes membres sont rances comme une poutargue grise
Ma démente vanité est un mage qui voudrait dormir
sans aucune emprise
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

Ma torpeur est une patte de panthère
Qui me tranche à vif
Net, le jus de grenat a coulé sur le bout de mes doigts
Et sèche comme du vernis sur mes griffes nouvelles
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

La couverture de la nuit glisse enfin vers sa sortie
Son crissement est assourdissant comme le froissement
d’un papier glacé recouvrant les fleurs séchées
Le soleil arbitre enfin la fin de cette folie
et me rend mon répit
Il constate mon chancellement scabreux
Mes yeux cernés et mes joues violettes
Ce soir, les mésanges bleues paraissent grises
au pays de Shine

Le jour se lève sur le village ravagé
L’autre me laisse dans ma partition
comme un bémol crevé
Une mélodie désabusée
Qui, au-dessus des heureux, voltige de façon clownesque
Teint translucide et lactescent comme le glaçon
flottant d’une mauresque
À la lumière du jour, je brille de ma peau holographique
Hier soir, pourtant, les mésanges bleues paraissaient
grises au pays de Shine

Je pars en pétard comme sous un ciel de 14 juillet
La paume de mes pieds lévite au-dessus
de l’asphalte mouillé
Mes yeux sont rivés vers le nord de mes boussoles rouillées
Mes audaces nouvelles ont mûri tout le vert
de mes nausées passées
J’ai la nacre clarté des nouveaux départs
et tous les moyens de mes idées
Hier soir, pourtant, les mésanges bleues paraissaient
grises au pays de Shine

Qu’il en aura fallu du trouble
Pour me faire compter double
Qu’il en aura fallu de la volonté indélébile
Pour réunir toutes mes perles sur un même fil
Qu’il en faut du charbon sous la dent
Pour éclater un peu de ma couleur sans incident
Vite je dois faire quelque chose de beau maintenant
Avant que ne revienne l’autre des soirs qui empoisonnent
à nouveau
Cette danse cruelle entre l’autre et moi
Mais en attendant
C’est le jour, enfin
Et les mésanges sont bleues au pays de Shine