L'horizon lie-de-vin s'accroche à la cimaise Où les pinceaux dressés font un haie d'honneur Un donneur de leçons parle, la bouche en cœur, Les dames chapeautées ont des lèvres de fraise.
Près des verres de Kir d’un chanoine gourmet Sur les plateaux dorés , on sert de jolis mets Et ces dames pépient comme en une volière. Le peintre, déjà gris, tape sur le derrière
D’une poulette en rose à portée de sa main, Des figures outrées baissent leurs face-à-main Sanglées dans leurs corsets imposants de douairières. Les tableaux exposés s’animent à l’arrière :
Une déesse nue ose poser le pied Sur le parquet verni où glissent les souliers De la foule venue pour le grand vernissage. Elle arrache un rideau en guise de corsage,
Suivie par une nymphe aux cheveux épandus Sur un torse gracile aux jeunes seins tendus. L’assemblée des messieurs agite ses binocles Saisis par ces beautés descendues de leur socle!
Un silence de mort accueille ce miracle Puis soudain ô stupeur, pour tous c’est la débâcle, Chacun poussant chacun pour plus vite quitter Cet endroit effrayant par des spectres hantés.
C’est ainsi que l’on vit descendre des tableaux Dans le salon désert , où restaient des gâteaux, Du champagne rosé et maintes gourmandises, Gourmettes et gourmets friands de ces surprises
Et lassés de poser pour la postérité Sur des tableaux glacés, dont allaient hériter Quelque riche marchand ou quelque grand esthète Qui leur feraient connaître à jamais la disette !
Alors, tard dans la nuit, ce fut un grand festin Où chacun oublia pour un temps son destin, Savourant les plaisirs accordés aux vivants Pour qui le pain vaut bien les Iles sous- le- vent...
Quand l’aurore survint, déshabillée de rose, Chacun dans les tableaux avait repris sa pose Et qui eût deviné cette folle aventure En contemplant Vénus et sa belle figure !