Hé bien, pomme d'amour, qu'as-tu donc à crier? Viens donc que je te lave à grande eau dans l'évier Ta robe de satin miroitante de gouttes Attire le gourmet qui aussitôt te goûte,
Et ton exquise chair au jus acidulé Va fondre dans sa bouche et flatter son palais. C'est à la croque au sel, bien sûr, qu'on te préfère: Là, on te coupe en deux, tes cris nous indiffèrent:
Un filet, sur tes plaies, d'huile en doux pansement Et quelques grains de sel: le régal du gourmand Qui lors ne pense plus à tes larmes qui coulent, Et à ce rouge sang qui de tes plaies s'écoule!
Encor' que, mijotée, tu n'es pas mal, crois-moi! On te coupe en morceaux malgré tes cris d'effroi, Et dans un récipient bien chaud on précipite Ta chair épouvantée par l'huile qui crépite.
Nous sont indifférents tes plaintes, tes sanglots, L'on t'accompagne d'ail, on met le feu plein pot, Et tes parfums puissants chatouillent nos narines Et l'on ne pense pas alors qu'on t'assassine!
Le crime est consommé, te voilà transformée En sauce parfumée dont il faudra ôter En t'écrasant enfin au fond d'une passoire Les peaux, pauvres lambeaux de robe dérisoires.
On te mettra en pots, et l'hiver revenu, Sur nos tables, tu resteras la bienvenue Quand ta chair torturée coulera sur les pâtes On s'écriera alors: "Tomate, tu m'épates!"