Gaspard, le dernier né d'une portée fournie Coulait des jours heureux tout auprès de Fanchon Et le bleu de ses yeux, et l'auge bien garnie Lui laissait entrevoir les plus beaux horizons.
Que demande , en effet, un cochon sans manières ? Un humble logement que certains nomment soue Une auge débordante à heures régulières Abondante boisson, quelques flaques de boue
(Et quelque bonne claque aussi, sur le derrière) Fanchon, ne s'en privait en le voyant grossir Et se félicitait de le voir prospérer En prévoyant pour lui un brillant avenir
Grâce aux soins diligents qu'elle lui prodiguait : Les raves du jardin apportées à pleins seaux Avec beaucoup de son ou de pommes de terre Les reliefs du repas, des graines en tourteaux,
Gaspard ainsi nourri, était gras et prospère Et menait une vie exempte des soucis De ces bêtes de somme attelées à l'ouvrage Qu'il voyait s'en aller d'un pas lent et soumis
Qui subissaient leur vie, avec calme et courage. Ah, se disait Gaspard, quel beau sort que le mien. On me chérit bien plus que tous ces animaux Qui passent, gourmandés par le maître et le chien,
Et bien plus que ce coq qui se lève si tôt, Alors qu'enseveli au profond de ma paille J'attends mon déjeuner apporté par Fanchon, Souriant à l'idée de bien faire ripaille
Tandis que le maraud sonne de son clairon ! Il est sûr que je vis au pays de Cocagne Je veux rester ici le restant de mes jours Parqué dans mon enclos, en la fraîche campagne Où les yeux de Fanchon me donnent tant d'amour !
Notre pauvre étourdi ne voyait cependant Aucun des longs couteaux à la lame tranchante Que Fanchon enfonçait parfois brutalement Dans le creux de ces cous ou gorges pantelantes
Qui frémissaient alors en derniers soubresauts Victimes résignées, pauvres paquets sanglants Qu'on plume derechef et qu'on flambe aussitôt Pour aller régaler les estomacs gourmands.