Duos poétiques outre-temps - Livraison VI
- Avec Charles Baudelaire :
“Te regarder toujours avec des yeux de feu”
Irrigue de velours ta braise qui m’émeut.
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“Comme les sons nombreux des syllabes antiques”
S’exhalent les tons feu qui agrippent nos criques.
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« Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ; »
Sans ton regard je crie les chants de Maldoror :
Te respirer loin des tourments marécageux ;
Ton univers a les pétales qui s’explorent
Et allègent l’enfer de mes vers ombrageux.
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“Au somnambule errant au bord des édifices,”
Reste un sort délirant, le roide sacrifice.
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“Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !”
Loin du phare, aspirant l’écume qui m’élève.
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“Durant ces grandes nuits d’où le somme est banni,”
À Musine j’écris en pleurs, à l’agonie.
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“L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient,”
Volutes sans retour, elles embuent les âmes en suie.
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“Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie”
Et sans Musine l’Instant saigne ses envies
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« Pour engloutir mes sanglots apaisés
Rien ne me vaut l’abîme de ta couche : »
Et si je suis arraché de ta souche,
Privé de sève : une vie à raser.
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« Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris, »
S’épuise et s’assomme contre ces pans acides,
Je reste là, goûtant son cadavre tout gris.
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« Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant, »
Laissant les angoisses ronger mon sort nocturne,
En un cri sépulcral m’exhiber déviant.
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« Qui, comme moi, meurt dans la solitude,
Et que le Temps, injurieux vieillard,
Chaque jour frotte avec son aile rude… »
Sait que l’âme s’use et tombe aux pillards
Qui souillent l’envol, griment l’élan prude
Pour qu’il ne reste qu’un laid vétillard
Aux songes étroits, grises certitudes.
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« Dans le suaire des nuages
Je découvre un cadavre cher, »
Celui que je deviens, en nage,
Sueur glacée perlant sans chair.
- Avec Stéphane Mallarmé :
“Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne”
L’aube ténébreuse glace l’ire océane.
- Avec Paul Verlaine :
« Tandis que la cathédrale
Notre-Dame de Paris,
Nuptiale et sépulcrale,
Bourdonne dans le ciel gris »
La fusion cardinale
Avec toi, l’Être de Vie,
Crie en lettres capitales
Puis s’enveloppe sans bruit.
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“Nous avancions tranquillement sous les étoiles”
Constellant notre sentier de baisers sans voile.
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« Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte. »
Je me cogne au tronc qui renvoie
Mes cris et craintes.
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« Hélas ! Faut-il que meure ce bonheur ?
Meurent plutôt la vie et son tourment ! »
À perdre ces parcelles qui affleurent
S’enterre tout élan du cœur dément.
- Avec Tristan Corbière :
« Sa lampe se mourait. Il ouvrit la fenêtre.
Le soleil se levait. Il regarda sa lettre. »
Les oiseaux s'égayaient. Il sauta dans le vide.
Un coup de vent emporta son feuillet livide.
- Avec Arthur Rimbaud :
« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme, »
Brisant les pesanteurs en superbe vaurien,
Mes sentiers buissonniers étourdiront la dame.
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« Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser ! »
Les ondes infinies, la partition à lire
De ce bel Univers qui saura s'embraser !
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« Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ; »
En se serrant très fort sur l’herbe ou dans le foin,
On fait enfin jaillir une ode sans prière.
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« Messire Belzébuth tire par la cravate »
Le roide danseur à la langue bien pendue :
La suspension qui craque, un tour de champ sans hâte,
Les pas dans le vide pour la valse perdue.
- Avec Jules Laforgue :
"Le cœur blanc tatoué
De sentences lunaires,"
Vit sa pâleur nouée
Vers les éclats solaires.
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“Sur mon lit, seul, prostré comme en ma sépulture”
Je râle mes affres gisant dans mes ratures.
- Avec Jean Moréas :
« Ô ma lyre, cessons de nous couvrir de cendre
Comme auprès d’un cercueil ! »
Accordons-nous l’envolée de l’air le plus tendre :
Le couffin qu’on accueille…
- Avec Émile Verhaeren :
« Tous les oiseaux ont fui nos plaines monotones
Et les pâles brouillards flottent sur les marais. » ;
Pourtant ces étendues, avec nous, tourbillonnent
Et les roides saisons s'embrasent sous nos rais.
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« La froide pureté de la nuit embrasée
Scintillait dans l’espace et frissonnait sur l’eau » ;
Si vivace nature aux reflets attisés
Par les ombres fraîches qui dansaient à vau l’eau.
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« Brumes mornes d’hiver, mélancoliquement
Et douloureusement, roulez sur mes pensées »
Rongées par la glace, volutes affamant
Ma faible humanité, aveugle et insensée.
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« Ivres, dans un tombeau de flots et de soleils »
Nous renaîtrons au liquide ciel de la treille.
- Avec Charles Cros :
"Les mots morts, les nombres austères
Laissaient mes espoirs engourdis ;”
Mais quelques notes enhardies
Firent germer tous les mystères.
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“La neige descend, plumes assidues.
Hiver en retard, tu me déconcertes.”
Le pollen s’envole, flocons éperdus.
Que le printemps ivre enfin me concerte.
- Avec Pierre Quillard :
« Le souffle parfumé de l’ineffable Absente
Flottera pour moi dans l’air silencieux »
Je m’en imprégnerai, essence incandescente,
Et me consumerai jusqu’aux déserts cieux.
- Avec Émile Nelligan :
“Mais au salon empli de lunaires reflets,
Avant de remonter pour le calme nocturne,”
Je mordille tes lèvres, ô l’intime palais !
Que se lient nos langues si loin du taciturne.
- Avec Renée Vivien :
« Ô Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette ! »
J’enfouis vos restes grimaçants loin des claquettes…
- Avec Paul-Jean Toulet :
“Une lueur tranchante et mince
Echancre mon plafond.”
Sans un crépuscule au tréfonds
Je tords le sol qui coince.