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Laurent KOHLER

Francfort

En automne depuis quelques années
Quand l’Allemagne me remonte, des fonds
Je pars à la recherche du cœur déchiré des villes
Francfort intérieur...
Gare centrale, grosse présence, miraculée
Trouver le centre, les vestiges
Le Main, des quais, des ponts
Sur l'autre rive, des flèches très très antiques
Traverser le pont, début de siècle, fer suspendu et grès rouge.
La « City », les banques, forêt de crayons là-bas
Ponctuent le temps
Front même assez beau, contre-point du Moyen-Age.

Je parcours ces cicatrices, coutures plus ou moins discrètes
Des panneaux, des photos, retracent l’histoire longue
Relatent et effacent un peu les chapelets de bombes
Mais toujours ces quelques dates...1942...1943...1944...1945…
Je pense à Cologne, à Lubeck, à Berlin…

1954, soleil et printemps
Mais encore des palissades, des chantiers
Des terrain-vagues, en plein Francfort !
J’entre dans l’une ou l’autre église
J’imagine les nefs écroulées, les statues éclatées
Dehors, l’urbanisme a fait son ménage.

Arrivé sur une vraie place
Arbres, frontons, ogives, fontaine, échappées
Et surtout toute une foule, animée, des terrasses hétéroclites
Baraques à toutes sortes de frites, buvettes
Et un orchestre, du genre de ceux qu’on croirait interdit
Trois gusses, dont une femme, et trois quatre clampins qui dansent
Malgré la pluie qui menace
L'éternel de la disco, BoneyM à gogo
Une quasi gargouille bat la mesure avec entrain
Dans une guérite clinquante de néon
Vraie fête populaire, des vieux des jeunes, des nantis, des pauvres,
Des droits du sang et des droits de l’exil
On dirait du « vivre ensemble »
Cette société, cette ambiance et ce vin blanc
C’était aussi Mayence d'où je viens

Les tables sont plurielles
L'ambiance allemande mutuelle
L'une des trois dames me dit bon appétit
Le bien de sa ville
Je dis bombardements...
Elle me répond Frauenkirche je crois, belle église là derrière moi
Enfant elle a vu l’autel au grand jour, la nef crevée
« ma première vision d’enfant d’une église » en bon allemand s’entend

Un samedi soir à Francfort, que je vais ranger maintenant, avec ces villes touchées qui m’ont touché si fort
J’en ai eu les larmes aux yeux, et me suis trouvé ridicule aussi, et failli ce lapsus, des « armes aux yeux », qui pourraient donner, des armes aux lieux, au lieu… au lieu de...