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Julien BOUCHARD-MADRELLE

La gente tourterelle

Sur l'herbe où sautillait un peuple de criquets,
Sans bruit vint se poser la gente tourterelle.
Ses petits avaient fuit le nids, dans le bosquet
Et s'en étaient allé vivre leur vie, loin d'elle.

Durant dix beaux printemps, fidèle à son devoir,
L'oiseau avait nourri ses bruyantes nichées.
Les cimes des sapins lui servaient de perchoirs
Et elle roucoulait jusqu'à la nuit tombée.

Durant dix beaux printemps elle avait échappé
à l'autour scélérat, au faucon plein d'adresse ;
Nul rapace affamé ne l'avait attrapé.
La Nature avait eu pour elle, cent largesses !

Sous le ciel provençal, du cèdre jusqu'à l'if,
Ou du chêne au cyprès, le soir, quand tout est calme,
Elle planait parfois et je restais pensif,
Sentant je ne sais quoi qui me caressait l'âme.

Sur l'herbe grasse et fraîche, elle se reposait
Quand soudain, en criant comme de vraies furies,
Bêtes que le soleil farouche abrutissait,
Autour d'elle surgit une horde de pies.

Leurs becs tels des poignards,
La frappent sans relâche
Et l'on dirait César
Attaqué par des lâches !

Ses plumes tristement
Dans l'air du soir, s'envolent
Et en quelques instants,
Les laids oiseaux l'immolent !

Criant, gesticulant, j'ai voulu la sauver
Mais il faut peu de temps pour que le sort décide :
Le temps de dire « Assez ! », tout était consommé,
Bien qu'au loin j'ai fait fuir les criardes avides !

La vie, avant de fuir, a fait frémir son corps
Et son oeil demi-clos m'a dit « Trop tard, poète !
Je m'en vais dans le ciel croiser les météors
Et braver en riant les farouches tempêtes !
Ne sois pas triste,
Gentil artiste ! »

Je me suis dit alors que le doux animal,
Accablé par les ans ou malade, sans doute,
N'avait rien fait pour fuir le choc, l'instant fatal.
Néanmoins j'ai crié « Qu'elles en crèvent toutes ! »


Or la honte, soudain, étreignit mon esprit :
J'ai regretté ces mots dictés par la colère.
Vous autres, animaux, ignorez tout le prix
De la vie, de la mort ; l'instinct est votre père ;
Votre mère a pour nom ignorance et nous seuls,
Nous seuls, êtres humains doués de conscience
Savons ce qu'est le crime et la haine et l'orgueil,