Dormez braves gens, dormez tout est calme!
Sur Terre à chaque instant quelqu’un ouvre les yeux,
Quand ailleurs, au même moment, un autre dort.
Peu importe qu’il soit vieux, jeune ou amoureux,
Homme ou femme, insouciant ou redoutant la mort.
L’humanité ne s’accorde jamais l’envie
D’un seul et unique élan commun de rêve.
Le jour, toujours dans ses rythmes, poursuit ses nuits.
L’inconscience ouvre sa galaxie, sans trêve.
L’éveil est un mal nécessaire aux consciences,
Émergeant de nos profondeurs abyssales.
Pose respiration de nos temps d’absence,
Il peint en toile couleur nos matinales.
Le sommeil donne la paix à l’humanité,
Qui rechigne à se faire la guerre en dormant.
Seuls quelques fous et dangereux illuminés
Se vantent de dormir peu, en se pavanant.
Se sont des voleurs d’éveil, des violeurs de vie,
Grignotant de faim, d’un insatiable appétit,
La douce sérénité des fonds d’apathie
De la marée humaine allongée dans son lit.
Sur leur cheval martyre, tous vocifèrent
Des inepties à la face du monde sourd,
Psalmodiant des phrases sans vocabulaire,
Chassant les fantômes après quoi ils courent.
Dieu lui-même, depuis longtemps, s’est endormi,
Oubliant de croire à sa propre existence.
Son éveil improbable, au bout de sa nuit,
Nous laisse amorphes, endormis en errance.
Les religieux ne croient pas à cette sieste,
Divine potion pour une autre création.
Ils convoquent les anges, les saints, le reste
De leurs inventions malines de déraison,
Pour empêcher l’endormissement délicieux
Des naïfs, pécheurs perdus en leurs cauchemars.
Ils leur promettent terribles enfers et feux
Et remettent toujours les rêves à plus tard.
Dormez braves gens au grand large silence !
Fermez vos paupières aux grains de sable durs,
Qui viennent sans cesse éveiller vos consciences
Et dresser devant vous les parois de hauts murs !
