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Jacques AADLOV-DEVERS

Les Visiteurs 4 - Les Joyeux sourds à toute rime

Tragédie-bouffonnerie en quatre actes
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Préface
Lecteur illustre, ou spectateur attentif,
Reçois avec faveur cet ouvrage naïf.
Ce n’est point ici drame aux héros magnanimes,
Mais farce et tragédie, mêlant pleurs et abîmes.

J’ai voulu, dans ces vers, unir deux horizons:
La pompe du grand style et l’âpre dérision.
Godefroy, noble cœur, tonne en prophète austère,
Jacquouille, son valet, raille et mord la lumière.

Ainsi l’on voit régner, dans ce contraste étrange,
Le rire du bouffon, la gravité de l’ange.
L’un parle d’éternel, de salut, de clarté,
L’autre rit du destin, du vin, de la pâtée.

Que le lecteur, charmé de ce double langage,
Y trouve un doux plaisir, un utile message.
Car souvent la Vérité, pour frapper les esprits,
Se cache dans le rire et jaillit du mépris.
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Prologue – La Voix de l’Ombre
(La salle est plongée dans l’obscurité. Un silence pesant. On entend au loin un souffle de vent, puis un battement sourd, comme un cœur qui résonne. Une lumière faible éclaire un parchemin suspendu au centre de la scène. La voix off s’élève, grave, profonde, presque liturgique.)

Voix off
Les joyeux sourds à toute rime,
«Science sans conscience n’est que ruine de l’âme».

Toutes ces hordes dites «élitiques»,
Les nouveaux sorciers du génome,
Très fougueux, fiers «scientifiques»,
Voulant bricoler même l’Homme.

Toutes ces écoles formatant
Des têtes carrées, téléphoniques,
Le grand troupeau du trou béant,
Ruines d’écrans informatiques.

Tous ces ravis consommateurs,
Froissés de n’avoir plus «la prime»,
Dont l’idéal est beau, sublime:
Le new phone, tablette, écran couleur !

Et dans tout ce magma géant
Qui semble engloutir la terre,
Se lèvent, purs, Tes Innocents,
Portant, tels anges, la Lumière.

Ô, toutes ces hordes tétanisées,
De peur sautant toutes dans l’abîme
Aveugles à toute Vérité,
Et joyeux sourds à toutes rimes…

(Un roulement de tonnerre. Le parchemin s’éteint. Silence. Puis, brusquement, une torche s’allume côté cour: Godefroy entre, l’épée levée, le regard flamboyant. Derrière lui, Jacquouille trébuche, portant un quignon de pain et une outre de vin. Le contraste est immédiat: la solennité du poème se brise dans le comique de l’entrée.)

Acte I – Les Sorciers du génome
(Un grand hall imaginaire. Godefroy, droit et solennel, scrute l’horizon. Jacquouille, accroupi, gratte le sol et renifle d’un air goguenard.)

Godefroy
Ô Jacquouille, regarde, ils défient la nature,
Savants démesurés, ivres de démesure.
Ils sondent le génome et s’érigent en dieux,
Profanant l’univers d’un orgueil odieux.

Leurs mains sacrilèges brisent l’ordre ancien,
Ils veulent remodeler jusqu’au corps de l’humain.
Mais science sans conscience est glaive qui dévore,
Et l’âme se détruit quand l’orgueil la dévore.

Jacquouille (ricanant, se grattant la tête)
Monseignor, c’est ben vrai, j’les ai vus ces bouffons,
Avec leurs grands grimoires et leurs drôles de noms.
Ils tripotent l’Homme entier comme un vieux chaudron,
Et s’prennent pour des dieux, mais c’est qu’des poltrons.

Leurs écoles, c’est pire qu’un cachot sans soleil,
On y sort tout carré, sans cervelle, sans éveil.
On cause par machines, on prie des écrans bleus,
Et l’on vend son esprit pour des éclats douteux.
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Acte II – Les Innocents et la Lumière
(Un rayon de lumière traverse la scène. Godefroy lève les bras au ciel. Jacquouille plisse les yeux et grogne.)

Godefroy
Pourtant, dans ce chaos, je vois briller des flammes,
Des âmes sans souillure, des enfants sans infammes.
Ils marchent dans la nuit, porteurs d’un feu sacré,
Dressant leur innocence au monde égaré.

Ces purs Innocents, tels des anges en bataille,
Font jaillir la clarté là où l’ombre s’installe.
Leur voix est un écho de l’éternelle loi,
Un chant qui nous rappelle où se tient notre foi.

Jacquouille (hausse les épaules, moqueur)
Des «Innocents», qu’vous dites? Ah ben, ça m’fait marrer,
Moi j’les vois surtout bêtes, à toujours cliquer.
Ils lèvent pas la tête, ils lèvent pas les yeux,
Ils s’prennent pour des malins, mais sont pires que des gueux.

Leur flamme, c’est l’écran, leur gloire, c’est la pub,
Leur foi, c’est la boutique où l’on vend des bulbes.
Ils prient pas le bon Dieu, ils prient leur fournisseur,
Et s’agenouillent devant un écran en couleur.
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Acte III – L’Abîme
(Tonnerre au loin. Godefroy s’avance, le poing levé. Jacquouille bâille et s’assoit par terre.)

Godefroy
Je vois l’abîme noir s’ouvrir sous leurs pas lourds,
Et la terre trembler sous le poids de leurs jours.
Le ciel, indigné, gronde et menace de flammes,
Car l’Homme a renié la noblesse de l’âme.

Les foules insensées, esclaves de l’écran,
Ont troqué l’éternel pour un jouet brillant.
Leurs temples sont des halls, leurs prêtres des marchands,
Et leurs psaumes, des pubs aux refrains obsédants.

Jacquouille (riant, se tapant sur les cuisses)
Monseignor, vous criez comme un prêcheur en transe,
On dirait qu’vous voyez l’enfer à chaque danse.
Mais moi, j’vois surtout des badauds rigolards,
Qui s’bousculent au marché pour des joujoux ringards.

Leurs flammes, c’est des lampes, leurs enfers, des factures,
Leurs diables, c’est les banques, leurs saints, les voitures.
Ils prient pas le démon, ils prient leur banquier,
Et vendent leur salut pour un crédit payé.
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Acte IV – La Chute
(Silence. Godefroy tombe à genoux, les yeux levés. Jacquouille, lui, sort un quignon de pain et commence à manger.)

Godefroy
Ô siècle égaré, reviens à la lumière,
Quitte l’ombre des écrans, rejette la poussière.
L’Homme n’est point machine, il est souffle et esprit,
Un éclat d’infini qu’aucun code n’écrit.

Le salut est en toi, dans l’amour et la grâce,
Dans l’éclat d’un regard, dans la paix qui s’enlace.
Et si l’Homme s’élève au-dessus de ses chaînes,
Alors l’éternité guérira toutes ses peines.

Jacquouille (la bouche pleine, goguenard)
Monseignor, vos grands mots, c’est ben beau, c’est ben clair,
Mais moi, j’vois qu’les manants veulent surtout leur bière.
Ils parlent pas d’salut, ni d’anges, ni d’flambeaux,
Ils veulent du saucisson et du vin dans les seaux.

Alors vos grands discours, ça m’fait rire, monseignor,
Car l’monde est ben têtu, il changera pas d’sort.
Et moi, j’prends mon repas, c’est déjà mon destin,
Le ventre bien rempli, j’me couche jusqu’au matin.

(Jacquouille rote bruyamment. Godefroy se signe avec gravité. Le rideau tombe.)
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Épilogue

Le rideau se referme, et l’écho se suspend,
Entre deux vérités que le siècle défend.
L’une tonne au ciel clair, noble et prophétique,
L’autre rit dans la fange, basse et satirique.

Faut-il croire au salut, aux anges éclatants,
Ou suivre Jacquouille et ses rires tonnants ?
La sagesse est peut-être au banquet des manants,
Ou bien dans la clarté des discours éclatants.

Le spectateur choisit, car nul n’a la clef sûre:
L’Homme est fait de grandeur, mais aussi de fêlures.
Et parfois la Vérité, pour se dire aux humains,
Se cache dans le vin… ou jaillit des quatrains

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