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Jacques AADLOV-DEVERS

Les Visiteurs 4 - Le Phonaige Enchanté

Prologue
[Le Chœur, s’avançant vers le public]

Oyez, bonnes gens, oyez, prêtez l’oreille fine,
Voici farce nouvelle, et satire divine.
Un noble chevalier, Godefroy de Montmirail,
Affronte son vilain, Jacquouille le canaille.

Le siècle est enchanté par d’étranges miroirs,
Qui brillent dans la nuit de leurs éclats illusoires.
On les nomme phonaiges, coffrets ensorcelés,
Où l’index seul commande et l’esprit est lié.

L’un, noble et solennel, s’indigne et se tourmente,
L’autre, vil et railleur, s’en amuse et s’en vante.
De ce choc naîtra rire, et peut-être leçon,
Car la farce est du temps, et le temps est poison.

[Le Chœur s’incline et se retire. Entrée de Godefroy.]

Godefroy (levant la main, ton solennel)

Par ma foy, preste, un phonaige 7G?!
Qu’on m’apporte céans ce joyau fort prisé.
On dit qu’il fait jaillir des éclairs de lumière,
Et qu’il dompte à la fois le temps et la matière.

[Jacquouille surgit, hilare, avec l’objet.]

Messire, doucement?! Point n’est besoin d’épée,
Un doigt suffit ici pour tout ensorceler.
Voyez, j’presse l’écran, et v’là qu’il s’illumine,
Plus vif qu’un feu follet, plus prompt qu’une rapine?!
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Scène I – Les Selfies

[Godefroy, tenant l’objet, le scrutant avec méfiance]

Par ma foy, quel mystère?! Ce coffret étincelle,
Il capte mon visage et le garde immortel.
Est-ce là sortilège ou miroir de sorcier,
Qui vole mon image et la fait voltiger?

[Jacquouille, hilare, se mirant dans l’écran]

Nenni, point de démon, c’est plaisir de faquin,
On s’prend en portrait vif, on s’trouve beau soudain.
Regardez, m’sire, j’fais la moue, j’fais le fou,
Et l’univers entier s’esclaffe rien qu’à nous?!

[Godefroy, frappant du pied, indigné]

Par les sorts, Jacquille, c’est diablerie, enchante,
C’est une prison de verre aux images éclatantes.
On y rentre sans dire, volontiers, conquis,
Et puis même, l’on s’admire, en selfies impolis.

[Jacquouille, goguenard, mimant un noble]

Bah?! Prison, dites-vous?? Moi j’y vois grand festin,
Un miroir qui m’illustre et me rend beau soudain.
Si l’âme s’y égare, tant pis, qu’elle sommeille,
Car l’œil rit de me voir, et c’est là la merveille?!

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Scène II – Les Experts de la Télé

[Jacquouille, tapotant l’écran, goguenard]

Voyez, m’sire, ces clercs qui parlent à la boîte,
Ils s’disent grands savants, mais leur science est étroite.
Ils vendent leurs cervelles pour deux ou trois deniers,
Et font danser le peuple en beaux mots déguisés.

[Godefroy, levant les bras au ciel, indigné]

Vil siècle corrompu, où l’ignorance est reine,
Où l’homme suit des fous, et s’y perd sans haleine?!
Ces «?experts?» de carton, adoubés par l’écran,
Ne sont que bateleurs, et trompent les enfants.

[Jacquouille, ricanant, mimant un docteur]

Bah?! Qu’importe, messire, ils causent, on s’amuse,
Leurs mots sont du vent, mais le peuple en abuse.
Ils crient, ils gesticulent, et chacun applaudit,
Car l’écran fait la loi, et l’esprit s’y blottit.

[Godefroy, frappant du pied]

Ô honte?! Ô décadence?! Où sont passés les sages,
Les clercs véritables, les doctes personnages?
Le siècle est gouverné par ces faux orateurs,
Et l’âme s’y corrompt au milieu des rumeurs.

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Scène III – La Phono-Folie

[Jacquouille, se vautrant sur un banc, l’air hilare]

Bah?! Tant qu’ça fait du bruit, j’dis qu’c’est ben profitable,
Mieux vaut rire un bon coup qu’vos sermons redoutables.
Le matin j’ouvre l’œil, j’regarde le journal,
Le soir j’me fous au lit devant Netflics ou Canal.

[Godefroy, levant les bras au ciel, scandalisé]

Ô siècle corrompu, où l’âme se débranche,
Où l’homme, en son orgueil, se perd et se retranche.
Ces jeux, ces faux récits, ces images sans fin,
Ne sont que chaînes d’or qui captivent l’humain.

[Jacquouille, mimant un spectateur béat]

Messire, c’est commode?: on s’assoit, on s’endort,
On rit, on pleure un peu, et l’on oublie la mort.
À quoi bon s’éreinter sur vos vieux parchemins,
Quand l’écran fait danser cent farces sous nos mains?

[Godefroy, frappant du pied, ton prophétique]

Tais-toi, vilain, tais-toi?! C’est sortilège infâme,
Qui damne les mortels et leur dérobe l’âme.
Le monde est enchaîné par ce sort infernal,
Et l’homme, en son orgueil, s’y perd corps et moral.

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Scène IV – L’Essai de Godefroy

[Godefroy, saisissant le phonaige avec gravité]

Voyons, vilain, voyons, ce n’est point sorcellerie,
Je puis, d’un doigt subtil, dompter cette folie.
Regardez bien, faquin, je presse avec vigueur…
Par ma foy?! Rien ne vient, sinon plus de fureur?!

[Il tapote maladroitement, l’écran s’éteint.]

Ô sort, quelle injure?! Le miroir se dérobe,
Il se rit de ma main, il m’humilie, il me snobe.
Est-ce là le pouvoir que vantait ton jargon?
Un coffret rétif, muet comme un dragon?!

[Jacquouille, éclatant de rire, lui arrache l’objet]

Pas besoin de science, point de grand savoir,
Il suffit d’un index qui touche le miroir.
Voici, ici, messire, tout est expliqué:
L’index pense ses dires, mieux que le cervelet !

[Il tapote l’écran, qui s’allume aussitôt.]

Voyez, d’un seul coup d’ongle, le monde s’illumine,
Et v’là qu’j’fais danser l’écran comme une lutine.
Vous, noble chevalier, perdu dans vos grimoires,
Moi, Jacquouille, j’commande aux miroirs dérisoires

[Godefroy, rouge de honte, frappant du pied]

Par la Sainte Ampoule?! Ô siècle dévoyé,
Où l’index d’un gueux vaut plus qu’un chevalier?!
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Épilogue – La Morale

[Jacquouille, tapotant l’écran, hilare]

De nos temps, messire, pas besoin de savoir,
Il suffit d’occire l’index au noir miroir.
Regardez, les jeunes gens, ils tapotent heureux,
Rien ne les intéresse, peuvent se couler les cieux.

[Godefroy, prophétique, levant son épée imaginaire]

Jetez vos phones, impies, fuyez de leur emprise,
Que vostre esprit endort, il fait électrolise.
Si vous voulez des jouets, allez mieux dessiner,
Et s’il vous reste cervelle, encor un peu, lisez !

[Jacquouille, éclatant de rire, saluant le public]

Bah?! Lisez, dites-vous? Mais qui veut de vos pages?
Le phonaige amuse mieux, il chante et fait images.
Vos grimoires poussiéreux, ça sent le vieux grenier,
Moi j’préfère un bon jeu, et des filles à liker

[Godefroy, écumant, tragique]

Ô siècle corrompu, où l’âme se débranche,
Où l’homme, en son orgueil, se perd et se retranche.
Si tel est l’avenir, je m’en vais courroucé,
Chercher au fond des âges un monde moins faussé

[Jacquouille, goguenard, brisant le quatrième mur]

Gardez vos grands discours, vos sermons ennuyeux,
Moi j’garde mon phonaige… et j’fais rire les gueux
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Final (le Chœur, revenant sur scène)

Ainsi finit la farce, ôyez, braves gens,
Du noble et du vilain, querellant en riant.

Le siècle est enchanté, mais l’âme s’y débranche,
Et l’homme, en son orgueil, se perd et se retranche.

Riez de ces débats, riez de ces travers,
Car la farce est du temps, et le temps est pervers.

***