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Jacques AADLOV-DEVERS

Les Visiteurs 4 - La Plume Magique

...ou Le Poète de la Ripaille

Acte I – La Découverte

(Salle du château. Torches vacillantes. Godefroy brandit une plume lumineuse. Jacquouille ronge un os de poulet.)

GODEFROY
Oyez, ô siècles fiers, retenez ma mémoire,
Car j’ai trouvé la plume où s’inscrit la victoire.
Elle danse sans main, elle trace sans nul doigt,
Et fait jaillir des vers plus saints que toute loi.

Voyez, Jacquouille, ami, compère malotru,
Chaque mot que j’écris devient or absolu !
Les voyelles s’embrassent, les consonnes s’inclinent,
Et l’univers entier sous ma gloire s’illumine.

JACQUOUILLE
Par ma fiente, Messire, vous radotez, grand fou !
Votre plume, c’est sort, diablerie de hibou.
Pendant que vous rêvez d’astres et de couronnes,
Mon ventre, lui, gronde, et ma panse résonne.

(Il tape sur son ventre comme un tambour. Godefroy lève les yeux au ciel, outré.)
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Acte II – La Tentation
(Entre une Princesse ostrogothe, rêveuse. Elle soupire en voyant Godefroy.)

PRINCESSE (extatique)
Ô preux chevalier, ô poète magnifique,
Vos vers sont doux nectar, vos rimes angéliques.
Mon cœur soupire fort, mes songes sont troublés,
Car votre plume d’or m’a déjà envoûtée.

GODEFROY (gonflant le torse)
Voyez, Jacquouille, voyez comme l’on m’adore !
Mes mots font soupirer les princesses encor.
Je suis plus qu’un guerrier, je suis astre et flambeau,
Et ma gloire s’élève jusqu’au céleste haut !

À peine je touche une note sur ma lyre,
Que le rythme s’enchaîne et la rime s’inspire.
Tout cœur refroidi se remplit de chaleur,
Le printemps y revient, y ravive ses fleurs !
Et cette belle princesse, qui s’enivre là-haut,
De mes nobles promesses, de mes sublimes tableaux…

JACQUOUILLE (à part, ricane)
Par ma fiente, Messire, elle rêve de vos mots,
Mais moi j’dis qu’elle rêve surtout d’un bon gigot !

(La Princesse s’évanouit d’émotion. Jacquouille la rattrape maladroitement et la pose sur un banc, puis lui vole discrètement une bague.)
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Acte III – Le Jugement

(Un Moine inquisiteur entre, austère, brandissant une croix.)

MOINE (menaçant)
Arrêtez, chevalier ! Ceste plume est hérésie !
Elle n’est point divine, mais œuvre de sorcellerie.
Qui s’élève par l’orgueil tombera dans l’Enfer,
Et vos rimes maudites ne sont que vent amer.

GODEFROY (indigné, levant la plume comme une épée)
Non, saint homme, c’est don, miracle des Muses !
Par elle je deviens poète, grand génie qu’on accuse.
Mais mes vers survivront, quand vos sermons poudreux
Ne seront plus qu’échos dans des cloîtres ténébreux.

JACQUOUILLE (s’interposant, hilare, mains sur les hanches)
Par ma fiente, assez ! Vous m’usez les oreilles.
Messire veut l’éternel, le Moine veut des veilles…
Moi j’veux du jambon gras, du vin et des tripailles,
Et qu’on me laisse roter tranquille à la ripaille !
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Acte IV – Le Couronnement de Jacquouille

(Jacquouille arrache la plume, la trempe dans un broc de vin et écrit sur la table : « Vive la ripaille ! » Les lettres s’illuminent.)

JACQUOUILLE (écrivant sur la table avec la plume dégoulinante de cervoise)
Voyez, Messire, voyez, ceste plume m’obéit !
Elle trace mes rots, mes festins, mes grands cris.
Chaque mot que je crache devient illumination,
Et mes pets résonnants se font oraison.

Je suis aussi célèbre : suis-je l’élu, Jacouill’ ?
Scribe d’une plume folle, dont le royaume s’émeut !
Je n’ai qu’à dire un mot, la chopine s’illumine,
Et la rime jaillit, plus vive qu’une ruine !

(La plume projette au plafond : « VIVE JACQUOUILLE, POÈTE DE LA RIPAILLE ! »)

GODEFROY (abasourdi, tombant à genoux)
Ô dieux, quelle infamie ! Quelle trahison cruelle !
Moi, noble chevalier, trahi par ceste plume belle !
Comment est-il possible, comment cela se put,
Que ces mots indicibles riment au rustre brut ?

PRINCESSE (soupirant, les yeux brillants)
Ô Jacquouille, poète, vos mots sont délices,
Plus doux que cent sonnets, plus sucrés que réglisse !

MOINE (s’arrachant la barbe, scandalisé)
Sacrilège ! Blasphème ! C’est fin de chrétienté !
Quand un pet devient vers, quand un rot est clamé…

JACQUOUILLE (triomphant, levant sa chope)
Par ma fiente, assez ! La sentence est donnée :
Je suis poète sacré, par ceste plume couronné !
Et ma grande sagesse, je vous la livre net :
Mieux vaut ventre rempli que parchemin complet !

(Il boit cul-sec. La plume s’éteint, mais une auréole de vin mousseux brille autour de sa tête. Godefroy s’effondre, la Princesse applaudit, le Moine s’évanouit. Jacquouille rote si fort que le rideau tombe.)
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Acte V – L’Épilogue prophétique

(La plume s’élève seule, auréolée de lumière. Une voix mystérieuse résonne.)

LA PLUME
Que ta plume imparfaite engendre tes folies,
Car l’ombre est le berceau des plus grands génies.
Tes inepties, vilain, sont miroir de splendeur,
Et mènent pas à pas vers la Sublime Douceur.

Quand les siècles viendront boire à ton rire épais,
Quand tes rots tonitruants couvriront les couplets,
Alors, dans la fange où s’égare la clarté,
Naîtra le Poète des Poètes, incarné.

(Silence. Godefroy tombe à genoux, persuadé que l’oracle le désigne. Jacquouille éclate de rire, levant sa chope.)

JACQUOUILLE
Par ma fiente, Messire, vous n’avez rien compris !
Si la plume m’élit, c’est pour mes bons festins :
Un jambon bien dodu, cervoise à satiété,
Voilà la prophétie : mon rire est roi sacré !

(Il rote si fort que la lumière s’éteint. Rideau.)
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Acte VI – La Continuation philosophique

GODEFROY
Tu ne vois point, Jacouille, que le temps n’est que rage,
C’est Dieu qui nous façonne à son image, aux âges.

JACQUOUILLE
Je n’y vois mie, Messire, et mon vis se prélasse,
Mais j’aime dame Ginette, la ripaille et la vinasse.

GODEFROY
Mais bon sang, Jacquouille, arrête et réfléchis !
Si le Seigneur voulut qu’un jour nous fûmes amis,
Qu’ensemble nous vivions maintes aventures franches,
Qu’on apprît de nos fautes, qu’on gardât fermes hanches,
Qu’on donnât à l’Âme exemple de vertu,

Et qu’au Temple sacré nous fussions dévolus…
Continue donc tes vers, fussent-ils imparfaits,
Suis le chemin preux des anciens rimailleurs.
Tu deviendras, p’têt bien, à force d’essayer,
Un Jacquouille moins rude et de moindre laideur.

JACQUOUILLE
Oui, Messire, je vois la Muse ! Elle m’appelle.
Au siècle des Poétés, chacun est roi, sans querelle.
Je serai, comme vous, un brave et fier chevalier,
Couronné de la grande rime et non d’un tablier !

GODEFROY
Jacquouille, tu ne seras qu’un rimailleur d’escorte,
Mon poète écuyer, dont la Muse est trop courte !

JACQUOUILLE
Nenni, par ma fiente ! La farce est là toujours :
Même poète, faut pinard et torchon au retour.

GODEFROY
Va dresser la table, ou je t’escrimerai,
De la pointe affûtée d’une rime acérée !

JACQUOUILLE
Oui, Messire, j’ai compris : chacun tient sa lyre.
L’une est grande et sacrée, l’autre sert à médire.
Pour n’offenser les grands, experts en beaux sonnets,
Je serai poète comique, rimailleur du banquet !

Peut-être nous verrons, aux longs couloirs du temps,
Vous en noble grimoire, moi fol et anodin.
Je vois venir le siècle, ô fine diablerie,
Où l’on s’écrit par fer, sur des feuillets petits,
Où l’on se parle encor, comme à dame Ginette,
Par bigophone étrange, sans chandelle ni trompette !

GODEFROY
Mon Jacquouille, un vrai poète a grandes visions !

JACQUOUILLE
Et moi, par ma panse honnête, pense à gueuleton !
(Ils se toisent, puis éclatent de rire. Rideau final.)
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Acte VII – Mystère de la Plume

(La scène s’assombrit. La plume s’élève lentement, auréolée d’une clarté blanche. Un chant grégorien résonne au loin. Tous tombent à genoux, sauf Jacquouille qui reste debout, la chope à la main.)

LA PLUME (voix solennelle, comme un chœur liturgique)
Gloria in excelsis, oyez, oyez, mortels,
La rime est sacrement, la parole est autel.
Nul n’est trop vilain, nul n’est trop imparfait,
Car Dieu souffle où il veut, et la Muse s’y fait.

GODEFROY (les mains jointes, fervent)
Ô Seigneur tout-puissant, je suis votre instrument !
Faites de mes sonnets un encens odorant.

JACQUOUILLE (levant sa chope, hilare)
Par ma ribaulde fiente, j’boirai votre encensoir !
Et si Dieu veut des vers, qu’il m’apporte à boire !

(La Princesse soupire d’extase, le Moine s’évanouit. La Plume tremble et projette des lettres de feu : « VIVE LE POÈTE DE LA RIPAILLE ! »)


LA PLUME (comme un oracle)
Ainsi soit-il ! Le fol sera fin couronné,
Et par son rire gras, le monde illuminé!

JACQUOUILLE (faussement solennel, comme un prêcheur)

Et si, malgré le tout, je demeure comique,
Et que la plume fuit ma trogne trop rustique,
Je ferai grand effort pour devenir critique,
Et parcheminerai tout vers, minime ou tragique !

(Il rote tonitruant. Les torches s’éteignent comme des cierges. Un dernier « Amen » résonne, suivi d’un éclat de rire général. Rideau.)

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Ultime scène – Après le rideau

(Le rideau se rouvre. Godefroy et Jacquouille sont seuls, assis côte à côte. Godefroy, solennel, pose une main sur l’épaule de son valet.)

GODEFROY
Oyez, preux compaings, retenez notre histoire,
Car maints hauts faits seront chantés en mémoire.
Godefroy est poète, noble et fier chevalier,
Qu’on se souvienne encor de nous à l’éternité.

JACQUOUILLE (s’avançant, levant sa chope, hilare, comme un roi grotesque)
Et de Jacquouille l’immortel, que le rire a sacré,
Jacquouille de la Jacouill’, le très grand p’tit poète !

(Il s’incline comme un monarque grotesque, clin d’œil au public, rot tonitruant. Rideau presque définitif.)
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Morale finale (Jacquouille au public)

JACQUOUILLE (s’avançant, faussement solennel)
Mes sires et mes dames, oyez ceste leçon :
Qui trop se croit grand clerc n’est souvent qu’un glouton.
Mieux vaut rire en taverne que pleurer en chapelle,
Car la Muse se cache en panse bien rebelle.

(Il s’incline, tire un jambon de sa besace et le brandit comme un sceptre.)

Ainsi finit l’histoire, et que chacun s’en rie :
Le Poète de Ripaille est vrai roi de folie !
(Il salue, lance un rot tonitruant, et sort en courant. Rideau définitif.)
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Punchline ultime

(Le rideau s’est déjà baissé, puis se rouvre une dernière fois. Godefroy, solennel, tend la main à Jacquouille.)

GODEFROY
Allez, mon cher Jacouille, restons bons compagnons :
Fais donc une rime claire, sans vilains jurons,
Qu’on se souvienne encor dans la vaste éternité,
Du Godefroy poète, courageux, fier et vrai.

JACQUOUILLE (en riant, au public, levant sa chope)
Et de Jacquouille – Jacquoui… aussi grand p’tit poète !
(Clin d’œil au public, rot tonitruant. Rideau définitif.)
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Épilogue – Salut à l’auteur

(Après la punchline de Jacquouille, le rideau semble tomber… mais Godefroy retient un pan, passe la tête et s’adresse au public.)

GODEFROY (levant la main, ton solennel)
Mais, mon petit Jacouille, serait-il grand malheur
Qu’on oublie loin derrière le solennel auteur ?
Celui qui mit au monde nostre histoire, le voilà :
Brave chevalier pédestre et poète de gala.

JACQUOUILLE (criant, hilare, bras écartés)
HOLA ! OKEE… HOLA !



(Jacquouille éclate de rire, s’incline vers le public. Tous deux saluent ensemble. Rideau vraiment définitif. La lumière s’étend dans la salle… Moment de panique ! On entend au loin…)

CHŒUR (grave, façon chant grégorien)

O lumen plumae, gloria poetarum,
Sanctus ridiculus, risus salvatorum.

GODEFROY (du fond de la scène, bras levés, voix vibrante)

Gloria, gloria, que mes vers montent au ciel,
Qu’ils soient encens divin, doux parfum éternel !

JACQUOUILLE (levant sa chope, hilare, sur le seuil de sortie)

Gloria, gloria, mais qu’on m’apporte du vin,
Car sans cervoise pleine, je n’fais point de latin !

(Éclat de rire général. Rideau définitif.)
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FIN - THE END
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