Le phare
Ces vagues sombres vont bientôt tout engloutir,
Des fracas de tempête en tourbillons obscurs
Ont tourmenté le ciel affligé de fêlures,
A l’horizon blafard, ne cesse de rugir
Une crinière noire, au fil du temps, immense
Qui se rue vers le phare où j’attends la sentence,
La tourelle gémit accompagnant mes cris
Qui vont se confondre dans les vents en furie
Ah, que vienne la fin de l’affreux cauchemar
Qu’est devenue ma vie depuis ce grand départ!
Ma sotte fatuité et ma misanthropie
M’avaient conduit à faire un stupide pari,
M’installer dans ce phare en grande solitude
Et affronter, altier, ma damnée finitude,
Je voulais dominer les hommes et les Dieux,
Prouver à ces veules que j’étais fabuleux.
Au début tout ravi, je vécus en extase,
Auréolé, divin, je planais tel Pégase,
Visitant, empereur, les silencieux méandres
Du cyclope en pierre que rien ne peut pourfendre,
Pourtant jour après jour l'anxiété me gagnait,
Une ombre pesante s'accrochait à mes pas,
J'errais dans les couloirs comme un spectre hagard
Dans ce qui ressemblait à un grand corbillard,
Une nuit, la tempête assaillit mon sommeil,
Je sentis la ténèbre avaler le soleil,
Il me fallait trouver, arracher du néant,
Une adorable fée, la fin de mes tourments,
Quand soudain je la vis, d’une lucarne en flamme
Une rose à la main, cette envoûtante dame,
Elle affrontait les flots, impétueux, sauvages,
Un sourire charmant irradiait son visage,
Je descendis fiévreux les marches mortuaires
De ce tombeau hideux, cet horrible calvaire,
J’ouvris comme un dément la poterne rigide,
Et reçus dans mes bras un cadavre perfide,
Grimaçant, tout enflé, aux immondes relents,
Ses doigts s'agrippaient à un varech pourrissant…
L'ouragan fulmina et sa joie fut atroce,
La mer vociféra d’un triomphe féroce !
Alors, lecteur inquiet, si tu entends crouler
Ce colosse marin qui semblait tout braver,
Sache que son gardien y a perdu son âme
Comme une fleur fanée emportée par la lame.
