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Giovanni BENINI

Jour après jour

Je n'ai qu'une fenêtre qui regarde passer le temps,
Elle s'anime à l'aube avec tous les passants,
Et s'endort à minuit aux soupirs des mourants,
Là, le banc du chemineau a gardé tous ses rêves
Dans une bouteille verte où un génie sommeille,
Un hermès postal sur son pégase pétaradant
Enfoncent quelques lettres dans la gueule des maisons
Qui aboient leur grande peur domestiquée,
Des volets s'étirent comme des corps pesants
Et soudain, tout s'anime, tout s'éclaire et tout vibre
Comme un flipper en folie,
Des figures sortent et d'autres rentrent,
Des chats miaulent dans les corniches,
Des voitures hurlent sur les affiches,
C'est la valse des pantins
Reprise tous les matins,
Que la fenêtre garde en mémoire
Pour en recomposer l'histoire
Et les heures se poursuivent
Sur ce cadran qui s'enlise
Dans son battement buté
Comme un animal blessé.

Alors que le tramway emporte le soleil,
Un melon à la main et le sourcil toiseur
Un ténor soulographique se prend pour un trouvère,
Un élégant smoking poursuit un document
Que le vent lui a volé violemment,
Quelques aubergines surveillent un tortillard
Immatriculé à Madagascar,
Sur le trottoir d'en face, habillé en Arlequin,
Un saltimbanque jongle avec l'étoile du berger
Qui attend son troupeau tout illuminé,
Un défilé de collégiennes s'admirent en mannequin
Dans les vitrines joyeuses de luxueux magasins.
Quelques pneus furibonds torturent l'asphalte
Où agonise le silence
Tandis que les feuilles comme des fées rouges
En tourbillons gracieux font du porte à porte,
Au loin, un train en équilibre comme un funambule,
Franchit le pont de fer qui retient la nuit.
Les lampadaires s'aveuglent, les bars s'assombrissent,
L'ombre de la solitude avance à grand pas,
Une image s'est collée à ma fenêtre,
Est-elle dehors, est-elle dedans ?
Est-ce mon visage, l'autre que j'ai perdu ?

Où s'est-il enfui, ton beau visage,
Où a-t-il déposé ses bagages,
Est-il dans la ville au mille plaisirs,
Dans la rivière au mille soupirs,
Reviendra-t-il un jour caresser ce carreau
Où traîne mon âme comme un escargot,
Reviendras-tu un jour souffler dans ces cheveux,
Qui se sont affranchis de mon crâne trop vieux ?

Je n'ai qu'une fenêtre qui regarde passer le temps
Où se reflètent tant d'images et de visages charmants,
Ils vont s'y imprimer et rester un instant
Avant que la pluie ne les efface
Inexorablement.