Le Chiffonnier d'Âmes
Je suis l'arpenteur des trottoirs luisants de pluie, Où les vitrines,phares froids de nos nuits, Vendent du rêve en capsule et du désir en solde. Mon ombre se traîne,dépareillée, dans ce monde Où chacun,téléphone en main, cœur en calcul, Marchande son amour au prix du circulaire.
Je cherche un visage qui ne soit pas un masque, Un sourire qui ne soit pas une enseigne, Dans ce grand supermarché des existences, Où les âmes sont des produits en libre-service, Étiquetées« Célibataire à succès » ou « Cœur à prendre », Emballées dans le cellophane des apparences.
J'écoute le grondement du métro capitaliste, Qui avale les solitudes et recrache les foules. Je guette,dans le bruit des pièces qui s'empilent, Un écho,une faille, un soupir qui détonne, Le frémissement d'une main qui ne cherche pas À signer un chèque,mais à croiser mes doigts.
On m'a dit : « Sois un profil, optimise-toi. Achète une voiture,un destin, une foi. » J'ai acheté des costumes,l'illusion d'être entier, Mais sous le tissu,le vide est un comptoir déserté. Je ne vends rien,n'achète plus ; je troque, Mon silence usé contre un peu de voix vraie.
Âme sœur, es-tu une utopie libérale, Un concept désuet que l'on brade à la criée? Ou bien erres-tu,comme moi, chiffonnier obstiné, À collecter les regards perdus,les rires défaits, Espérant recomposer,dans ce déluge de néon, L'alchimie simple de deux fables qui se répondent?
Je patiente au café, parmi les rires factices, Où l'on consomme des corps comme des consommations. Je refuse ce marché,cette loi de l'offre et du désir. Ma quête est une insolence,un doux non-conformisme. Je cherche non une associée pour un plan de vie, Mais une insurgée qui aura déserté la foire aux vanités.
Alors, si par hasard, dans ce bruyant désert, Tu reconnais en moi le même naufrage offert, Le même refus de l'âme mise en cote, Viens.Nous serons deux francs-tireurs de l'être, Et nous bâtirons,loin des cotes et des crédits, Une petite république invisible où l'amour est infini.