L’Encre Sèche
Je n’écris plus qu’avec des chiffres et des cendres,
Mes mots sont des CV jetés au fond du Bouregreg,
Je regarde mes mains, ces cartes géographiques,
Où chaque ligne trahit un métier qui me fuit.
À Marrakech, j’ai vendu les livres de mon père,
Son vieux tarbouche rouge mangé par les dettes,
Mes enfants comptent leurs dents comme on compte l’argent,
Et sous mon lit, les diplômes moisissent en secret.
Les cafés de Salé me connaissent trop bien,
J’y bois du thé amer en fixant mon portable,
Les vu sans réponse y dansent sur l’écran ,
Autant d’épitaphes pour mon orgueil de bac+5.
Ma femme a cousu nos rêves en tapis,
Vendus aux touristes pour trois billets froissés,
Ses doigts, jadis fleurs, sont des racines tordues,
Et nos nuits n’ont plus que le poids des silences.
J’ai mendié des stages au ministère,
On m’a ri en français, offert du café froid,
J’y ai laissé mon nom ils en ont fait un numéro.
Les chantiers m’appellent vieux à trente ans passés,
Mon dos s’est courbé sous les sacs de ciment,
Mais quand je tends la paume, on me parle d’âge,
De quotas, de compétences De vent.
Hier, j’ai vu mon fils voler des pommes au souk,
Ses yeux brillaient comme les miens devant les bancs d’école,
J’ai détourné le regard quel droit avais-je de juger ?
Le chômage est un père qui transmet sa honte.
Mes prières aussi ont perdu leur chemin,
Et moi, je n’ai pour parrain que le sable du désert.
Ce poème, je l’écris avec l’encre d’un stylo qui fuit,
Demain, je vendrai le papier pour un pain rond
Regardez ces vers, fragments de moi qui tombe,
La seule croissance ici, c’est celle de l’oubli.
Je signerai d’un nom que personne ne lira,
Homme transparent, ombre d’un Maroc fantôme,
Et quand l’enche sèchera, comme mes larmes d’enfant,
Il ne restera qu’un chiffre, sans visage, sans histoire.