Élégie pour un siècle éperdu
Ô Romantisme ! Vaste âme en tumulte,
Toi qui fis jaillir des cœurs en révolte
L’or pur des larmes et l’ombre des soirs,
Toi qui couronnas de sombres espoirs
Les fronts pâlis par l’infini qui hante,
Souffle insensé dont la fureur chante !
Tu naquis au flanc des monts courroucés,
Lorsque les vents, en leurs chants enlacés,
Portaient aux cieux la plainte des sapins.
Tu pris pour temple et les lacs et les pins,
L’écho profond des gorges solitaires,
Où vint pleurer le rêve des mystères.
Tu sus aimer d’un amour dévorant,
Passion sombre, ardent, extravagant,
Où le désir se change en agonie,
Où l’idéal, chimère infinie,
Fuit dans la brume, au-delà des ramées,
Laissant l’amant aux lèvres inaimées.
Tu convoquas les spectres du passé,
Les chevaliers en leur deuil empressé,
Les gothiques voûtes, les pâles madones,
Les vieux manoirs où gémissent les donnes
Des cours d’amour et des serments trahis...
Ô mélancolie, écho des pays
Où le temps dort sous la mousse et le lierre !
Tu célébras la révolte guerrière,
L’artiste-roi, libre et démesuré,
Prométhéen, au grand cœur ulcéré,
Luttant contre un siècle étroit et vulgaire,
Cherchant son Dieu dans la foudre et l’éclair.
Tu fis du poète un prophète inspiré,
Un mage errant, par les astres sacré,
Portant en lui le deuil et l’espérance,
Tendant l’oreille aux voix du silence.
Mais dans ton sein, gouffre vertigineux,
Dansaient aussi les orages fumeux,
Le spleen morose et les noires pensées,
Les cœurs brisés, les douleurs insensées,
Le vague à l’âme, étrange et doux tourment,
Où l’on se perd comme au sein d’un torrent.
Ô mal du siècle ! Blessure profonde
Qui fit saigner tout un pan du monde !
Ainsi tu fus, Romantisme altier :
Un cri sublime au bord du nonchaloir,
Un feu céleste étreignant la souffrance,
Le chant profond de la désobéissance
Face au réel trop étriqué, trop vain,
L’essor divin d’un cœur purement humain.
Tu nous appris que la beauté réside
Dans la blessure ouverte et dans le vide
Qui nous appelle au-delà du connu...
Ainsi, malgré l’oubli, sois le salut :
Le cœur romantique est un luth brisé,
Dont chaque fêlte a créé la beauté.