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Alexandre FONT

Migrants

Le drame a pour décor un chalut sur la mer,
Griffant les flots moelleux d’écumes éphémères.
Prisonnier libre des flots, il glisse crânement
Vers le doux horizon, paisible et charmant.
Au-dessus, le soleil arrose son miroir
D’une chaleur fauve, complice d’un mouroir.
Car sous le fier cyclope se joue un drame affreux
Fait d’hommes aux astres noires et difformes; miséreux,
D’être nés loin d’ici, sous le joug des tyrans,
Et d’avoir le destin des martyrs implorants.
La poupe d’acier traine un filet dérivant
Qui s’engorge, silencieux, de poissons frétillants.
Savent-ils seulement qu’ils vont mourir bientôt ?
Que leur ballet affolée se meut dans un étau ?
Pour l’instant, leurs ombres argentées dansent dans la nass
Quand surgit du grouillement d’atroces grimaces,
D’hommes, de femmes et d’enfants, dont les chairs cendreuses
Floconnent, dans l’onde, en figures paresseuses.
Alors le troupeau silencieux, ivre de sa ronde,
Se désordonne, s’émiettent en quelques secondes.
Car les bouts d’humains tombant, repaissent les colins
Les flétans, les lycopes, et les crabes malins
Dont certains disparaissent dans les ventres ouverts,
Sombres greniers d’abondance, terrifiant univers.
L’orgie est festive, spectrale, foisonneuse
Dans une belle concorde, ô faune butineuse.
Les baudroies, hier voraces de capelans,
Fouillent, méthodiques, l’orbite cave d’un enfant,
Tandis qu’un gras poisson vert se gorge d’un sein,
Libérant une bave blanche vers le ciel serein.
Le grouillement s’épaissit et les hommes disparaissent,
Englouties par la meute carnassière. Les mailles épaisses,
Inexorablement, se resserrent sur le troupeau,
Sur les flocons putrides des membres en copeau.
Ils étaient soixante-trois, sur des planches amères,
Cloués dans leur arche, sur les flots de la mer
Entre Afrique et Europe, entre espoir et chaos
Ils sortaient d’un néant pour les vains oripeaux.
Mais il fallait franchir cette masse étendue,
Cette mer tragique sous le ciel suspendu.
Pas encore cadavre mais déjà sans défense,
La felouque vermoulue heurta une bille
De bois rouge, ivre sur les flots nus et tranquilles.
La matière s’accoupla à la coque d’émeraude
Pareil au poinçon plongeant dans la cire chaude.
La commotion zébra le ventre d’une fissure
Que la houle, après, enfonça en meurtrissure.
L’eau vorace s’engouffra dans la cale hideuse
Faisant jaillir sur les visages las et passibles
La détresse des âmes devant l’indicible.
La dérive, les cris, les étouffements, le silence
Tels fut l’enchainement en toute vraisemblance.
Les flots profonds les avalèrent par morceau,
Autant que ces oiseaux, aux manies de pourceaux.
Quand les pêcheurs remontèrent leur récolte marine,
On dénoua l’erse, libérant la faune rapine.
On trouva une poupée, un coran et la bible
Rejetés aussitôt comme des choses nuisibles.
La criée vida les cales et enfla les poches
Car la commande nourrissait les écoles proches.