Je n'ai pas de palais épiscopal en ville
        
Je n'ai pas de palais épiscopal en ville, 
Je n'ai pas de prébende et de liste civile, 
Nul temple n'offre un trône à mon humilité, 
Nul suisse en colonel ne brille à mon côté, 
Je ne me montre pas aux gros yeux des ganaches 
Sous un dais, à ses coins ayant quatre panaches ; 
La France, même au fond de l'abîme, est pour moi 
Le grand peuple en travail d'où sort la grande loi ; 
Je hais qu'on la bâillonne ou qu'on la fleurdelyse ; 
Je ne demande pas aux passants dans l'église 
Tant pour voir le bon Dieu s'il est peint par Van-Dyck ; 
Je n'ai ni marguillier, ni bedeau, ni syndic, 
Ni custode, ni clerc, ni diacre, ni vicaire ; 
Je ne garde aucun saint dans aucun reliquaire ; 
Je n'ai pas de miracle en bouteille sous clé ; 
Mon vêtement n'est pas de diamants bouclé ; 
Je ne suis pas payé quand je fais ma prière ; 
Je suis fort mal en cour ; aucune douairière 
Ne m'admire quêtant des sous dans un plat rond,
La chape d'or au cou, la mitre d'or au front ;
Je ne fais point baiser ma main aux bonnes femmes ; 
Je vénère le ciel, mais sans le vendre aux âmes ; 
On ne m'appelle pas monseigneur ; je me plais 
Dans les champs, et mes bas ne sont pas violets ; 
Les fautes que je fais sont des fautes sincères ; 
L'hypocrisie et moi sommes deux adversaires ; 
Je crois ce que je dis, je fais ce que je crois ; 
Je mets près de Socrate aux fers Jésus en croix ; 
Lorsqu'un homme est traqué comme une bête fauve, 
Fût-il mon ennemi, si je peux, je le sauve ; 
Je méprise Basile et dédaigne Scapin ; 
Je donne à l'enfant pauvre un morceau de mon pain ; 
J'ai lutté pour le vrai, pour le bon, pour l'honnête, 
Et j'ai subi vingt ans l'exil dans la tempête ; 
Je recommencerai demain, si Dieu le veut ; 
Ma conscience dit : - Marche ! - rien ne m'émeut,
J'obéis, et je vais, malgré les vents contraires, 
Et je fais mon devoir ; et c'est pourquoi, mes frères, 
Au dire du journal de l'évêque de Gand, 
Si je n'étais un fou, je serais un brigand.