Trésors des nuits et vous dons éclatants du jour, Qui m'avez, ombre molle ou trop vivace flamme, De tendresse ou d'orgueil dilaté tour à tour, Ainsi donc je vous ai tenus en ma pauvre âme
J'ai senti sous ma peau se couler chaudement La sève de mes jours et l'été de ma vie, J'ai compté la douceur de chaque battement, Et de vivre ma chair fut sans cesse ravie.
Par grappes les instants comme des raisins mûrs, Ensanglantaient mes mains de leur tiédeur pourprée Et le Moi du présent tendant vers son futur Fiévreusement ainsi qu'une bouche altérée.
Et maintenant, je sais un bonheur plus certain Que la minute ardente et dont s'émeut notre ombre Mais dont l'éclair farouche, éblouissant et vain S'abîme pour jamais dans le passé sans nombre.
Je sais que l'Univers une fois possédé Est mien comme le sont ma joie et ma tristesse Que le multiple amour dont je suis habité Le vêt d'une éternelle et paisible richesse.
Que l'algue qui se ploie au sillage qui luit L'arôme ensoleillé des pins gras de résine ; Que les étoiles dans les arbres, et le bruit Du jet d'eau qui fait sangloter la nuit divine,
Que le fruit qui se gonfle et dont rit le verger Que l'herbe qui se meut vers le soleil, la flamme Souple, la terre et l'eau vivantes, l'air léger, Que ce qui vit et meurt a pour centre mon âme
Je suis riche d'un monde impalpable et puissant D'où naissent le bonheur et l'orgueil solitaires La clarté que je vois, le parfum que je sens M'enivrent d'un docile et quotidien mystère
Et c'est pourquoi, prunelle aveugle de la nuit, Ô Mort, je vais sans peur vers ta gloire inféconde Émerveillé de moi, je consens et te suis ; J'emporte en mes yeux clos le visage du Monde.