Ode bachique à Monsieur Ménard, président d'Aurillac
Maintenant que du Capricorne Le temps mélancolique et morne Tient au feu le monde assiégé, Noyons notre ennui dans le verre, Sans nous tourmenter de la guerre Du tiers état et du clergé.
Je sais, Ménard, que les merveilles Qui naissent de tes longues veilles Vivront autant que l'univers ; Mais que te sert-il que ta gloire Se lise au temple de Mémoire Quand tu seras mangé des vers ?
Quitte cette inutile peine, Buvons plutôt à longue haleine De ce nectar délicieux, Qui pour l'excellence précède Celui même que Ganymède Verse dans la coupe des dieux.
C'est lui qui fait que les années Nous durent moins que des journées, C'est lui qui nous fait rajeunir Et qui bannit de nos pensées Le regret des choses passées Et la crainte de l'avenir.
Buvons, Ménard, à pleine tasse, L'âge insensiblement se passe Et nous mène à nos derniers jours, L'on a beau faire des prières, Les ans non plus que les rivières Jamais ne rebroussent leurs cours.
Le printemps vêtu de verdure Chassera bientôt la froidure ; La mer a son flux et reflux ; Mais depuis que notre jeunesse Quitte la place à la vieillesse, Le temps ne la ramène plus.
Les lois de la mort sont fatales Aussi bien aux maisons royales Qu'aux taudis couverts de roseaux, Tous nos jours sont sujets aux Parques, Ceux des bergers et des monarques Sont coupés des mêmes ciseaux.
Leurs rigueurs, par qui tout s'efface, Ravissent en si peu d'espace Ce qu'on a de mieux établi, Et bientôt nous mèneront boire Au-delà de la rive noire Dans les eaux du fleuve d'oubli.