Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Apollinaire GINGRAS
1847 - 1935

Feuille d'automne et jeune artiste

Par la brise d'automne à la forêt volée,
Une feuille d'érable erre dans la vallée :
Papillon fantastique aux ailes de carmin !
Un enfant, qui folâtre au pied de la colline,
S'élance pour saisir cette feuille divine :
Enfin, la feuille est dans sa main.

Ne méprisez pas, je vous prie,
Cette feuille rouge et flétrie,
Léger débris de la forêt :
Dieu la chérit, puisqu'il l'a faite !
Pour cet enfant déjà poète,
Cette feuille - pour nous muette -
Porte du beau quelque reflet.

Et l'enfant tient sa feuille, et son grand oeil rayonne.
Il contemple longtemps cette feuille d'automne :
Elle a des couleurs d'or, et des lignes de feu.
Le froid l'a fait mourir, et le vent dans la plaine
Depuis le point du jour sans pitié la promène :
Mais c'est encor l'oeuvre de Dieu !

Ne méprisez pas, je vous prie,
Cette feuille rouge et flétrie,
Léger debris de la forêt :
Dieu vainement ne l'a pas faite !
Pour cet enfant déjà poète,
Cette feuille - pour nous muette -
Porte du beau quelque reflet.

De ses légers ciseaux, la nature avec grâce
A découpé la feuille, et, d'espace en espace,
L'oiseau l'a, dans les bois, sculptée à sa façon.
Dans sa feuille, l'enfant voit des fleurs, voit des anges, -
Comme il verra, ce soir, des fantômes étranges
Dans le nuage à l'horizon !

Bonheur à toi, feuille flétrie,
Qui ce matin dans la prairie
Au gré du vent errais encor :
Car, grâce à toi, feuille éclatante,
D'un enfant que ta vue enchante
L'imagination riante
Vient d'entrouvrir ses ailes d'or !

Un doux bruissement de la feuille froissée
Fait monter à son front une amère pensée :
L'enfant devient rêveur.- Dans un petit cercueil,
Un jour - ainsi craquaient les feuilles dans la plaine -
Il vit porter sa soeur là-bas, près d'un grand chêne...
Et quelques pleurs voilent son oeil.

Bonheur à toi, feuille bénie,
Qui ce matin rouge et flétrie,
Prenais ton vol dans la forêt :
Pauvre feuille sèche et sonore,
Chez un enfant tu fais éclore
Deux plaisirs que le coeur adore :
Le souvenir, et le regret !

Laissez croître l'enfant, et ce sera peut-être,
Peintre ou musicien, dans l'art quelque grand maître -
A l'orage trouvant de sublimes accords,
Donnant une âme à tout, au soleil, à la brise, -
Aux voix du soir, au bruit du torrent qui se brise, -
Prêtant l'oreille avec transports !

Et maintenant, feuille flétrie,
Dans la forêt, dans la prairie
L'aile du vent peut t'emporter :
Dieu vainement ne t'a pas faite !
Car, grâce à toi, feuille muette,
Chez un enfant déjà poète
Le feu divin vient d'éclater !

C'est un artiste en fleur que cet enfant étrange :
Peut-être sera-t-il Van Dick, ou Michel-Ange -
Faisant fleurir l'ivoire ou sourire l'airain.
Un jour peut-être, au front de quelque basilique,
Le marbre imitera, sous son ciseau magique,
La feuille qu'il tient dans sa main !

Et maintenant, feuille bénie,
Dans la forêt, dans la prairie,
L'aile du vent peut t'emporter !
Envole-toi joyeuse et fière :
Car, grâce à toi, feuille légère,
L'amour du beau, tendre mystère,
Chez un enfant vient d'éclater !